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jeune comte, ou du moins dans la chambre voisine, quand les maîtres lui donnaient leurs leçons journalières ; quoiqu’il fréquentât régulièrement les collèges avec lui, ne sortît jamais sans lui pendant le jour, et l’accompagnât dans toutes ses promenades : cependant il pouvait toujours nous trouver chez Apel, et nous nous promenions ensemble. Cela fit quelque sensation. Peu à peu Behrisch fit de nous sa société habituelle ; il finit par remettre, le soir, vers neuf heures, son élève entre les mains du valet de chambre, et il venait nous rejoindre à l’auberge, où il ne se montrait d’ailleurs jamais qu’en souliers et culottes, avec l’épée au côté et le chapeau sous le bras. Les badinages et les folies, qu’il mettait d’ordinaire en train, n’avaient point de terme. Un de nos amis avait, par exemple, la coutume de se retirer à dix heures sonnantes, parce qu’il aimait une jolie personne, avec laquelle il ne pouvait s’entretenir qu’à ce moment-là. Nous le voyions à regret nous quitter, et, un soir, que nous nous trouvions fort bien ensemble, Behrisch résolut secrètement de ne pas le laisser partir pour cette fois. Au coup de dix heures, l’amoureux se leva et nous souhaita le bonsoir. Behrisch l’appelle et le prie d’attendre un moment, parce qu’il veut s’en aller avec lui à l’instant même. Il commence par chercher, d’une manière amusante, son épée, qui était sous nos yeux ; puis il s’y prend si maladroitement pour la ceindre, qu’il ne peut en venir à bout. Il avait joué d’abord la chose si naturellement, que personne n’y entendait finesse. Mais, lorsque, pour varier le thème, il en vint à mettre l’épée tantôt à droite, tantôt entre les jambes, ce fut un rire général, auquel l’ami pressé de partir, qui était aussi un joyeux compagnon, fit lui-même chorus, et il laissa Behrisch poursuivre, de sorte qu’enfin l’heuredu berger se trouva passée. Alors, à la joie de tout le monde, une agréable conversation se prolongea bien avant dans la nuit.

Malheureusement, Behrisch avait encore, et nous avions, par son entremise, une certaine inclination pour quelques jeunes filles, qui valaient mieux que leur réputation, ce qui ne pouvait néanmoins être favorable à la nôtre. On nous avait vus quelquefois dans leur jardin, et nous dirigions nos promenades de ce côté, même quand le jeune comte en était. Tout cela fut mis en réserve et enfin communiqué au père. Pour conclure, il vou-