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et, comme il savait contenir ma fougue et mon inquiétude naturelles, il exerçait aussi sur moi une influence morale tout à fait salutaire. D’ailleurs il avait pour la rudesse une répugnance toute particulier, et ses badinages étaient des plus baroques, sans tomber jamais dans le grossier et le trivial. Il se permettait de témoigner pour ses compatriotes une aversion burlesque, et, quoiqu’ils entreprissent, il les peignait sous des traits plaisants. Il était surtout inépuisable à imiter les gens d’une manière comique, trouvant quelque chose à redire à l’extérieur de chacun. Étions-nous ensemble à la fenêtre, il pouvait s’occuper des heures entières à faire la revue des passants, et, lorsqu’il les avait assez critiqués, à exposer exactement et minutieusement comment ils auraient dû se vêtir, marcher, se comporter, pour paraître des gens raisonnables. Ces propositions aboutissaient le plus souvent à quelque chose d’absurde et de malséant, en sorte qu’on riait moins de l’apparence des personnages que de l’air qu’ils auraient eu, si follement défigurés. Dans tous ces amusements, il était impitoyable, sans montrer la moindre méchanceté. De notre côté, nous savions bien le turlupiner, assurant qu’à son extérieur on devait le prendre pour un maître de danse français ou tout au moins pour le maître de langue de l’université. Ce reproche était d’ordinaire le signal de longues dissertations, dans lesquelles il expliquait comme quoi il était à mille lieues de ressembler à un Français des temps passés ; puis il entassait mille propositions folles que nous aurions pu lui faire, disait-il, pour changer ou modifier sa garde-robe.

Dans mes travaux poétiques, auxquels je me livrais avec un nouveau zèle, à mesure que le manuscrit s’étendait, toujours plus beau et plus soigné, je m’attachai dès lors fidèlement au naturel, au vrai, et, lors même que les objets n’étaient pas toujours importants, je tâchais de les rendre d’une manière vive et pure, d’autant plus que mon ami me représentait souvent quelle affaire c’était d’écrire un vers à l’encre de Chine, avec une plume de corbeau, sur du papier de Hollande ; ce qu’il fallait pour cela de temps, de talent et de peine, qu’on ne devait prodiguer à rien de vide et de superflu. Avait-il fini un cahier, il le feuilletait, et il exposait en détail ce qui ne devait pas se