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tère, leur individualité, el que Amos, le bouvier, ne parlait pas comme un Isaïe, qui doit avoir été prince.

De ces idées et de ces convictions, aidées des progrès que faisait la connaissance des langues, se développa tout naturellement la disposition à étudier avec plus de soin les lieux, les nationalités, les productions naturelles et les phénomènes de l’Orient, et à s’efforcer par ce moyen de se rendre présents ces vieux âges. Michaëlis voua à ces études toute la force de son talent et de sa science. Les descriptions de voyages devinrent un puissant moyen d’interprétation des Saintes Écritures, et des voyageurs modernes, auxquels on posa de nombreuses questions, durent, par les réponses qu’ils y firent, témoigner en faveur des prophètes et des apôtres.

Mais, tandis qu’on s’efforçait de tous côtés d’amener l’Écriture Sainte à une intuition naturelle et de rendre plus généralement intelligible la véritable manière de la comprendre et de se la représenter, pour écarter par cet examen historique et critique bien des objections, faire disparaître bien des incongruités, et rendre vaine toute raillerie insipide, des dispositions tout opposées se manifestèrent chez quelques hommes, qui choisirent pour objet de leurs méditations les livres de la Bible les plus obscurs et les plus mystérieux, et voulurent, sinon les éclaircir, du moins les confirmer par eux-mêmes, au moyen de conjectures, de calculs et d’autres combinaisons ingénieuses et singulières, et, en tant qu’ils renfermaient des prédictions, les établir par l’événement et justifier ainsi la croyance à ce qu’il faut attendre pour l’avenir. Le vénérable Bengel avait fait accueillir avec une faveur décidée ses travaux sur l’Apocalypse, parce qu’il était connu pour un homme éclairé, honnête, pieux et sans reproche. Les sentiments profonds ont besoin de vivre dans le passé comme dans l’avenir. Pour eux le train ordinaire du monde est insignifiant, s’ils ne vénèrent pas des prophéties développées dans la suite des temps jusqu’à l’époque présente, et des prédictions enveloppées dans l’avenir le plus proche comme le plus éloigné. De là résulte un ensemble qui manque à l’histoire, laquelle semble ne nous présenter qu’une fluctuation accidentelle dans un cercle nécessairement borné. Le docteur Crusius était de ceux à qui la partie prophétique de l’Écriture plaisait le plus, parce qu’elle met en jeu les deux facultés de l’esprit humain les plus opposées, savoir le sentiment et le discernement. Beaucoup de jeunes gens s’étaient voués à cette doctrine et formaient déjà une phalange imposante, qui fixait d’autant plus les regards, qu’Ernesti, avec ses disciples, menaçait non pas d’éclairer, mais de dissiper absolument les ténèbres dans lesquelles leurs adversaires se plaisaient. Il en résulta des querelles, des haines, des poursuites et bien des choses désagréables. Je m’attachai au parti de la lumière, et je cherchai à m’approprier ses principes et ses avantages, tout en me permettant de prédire que, par cette méthode d’exégèse, infiniment louable et intelligente, le fond poétique de ces livres serait perdu avec le fond prophétique.

Mais les personnel qui s’adonnaient à la littérature allemande et aux belles-lettres s’intéressaient davantage aux travaux des hommes tels que Jérusalem, Zollikofer et Spalding, qui s’efforçaient de gagner aussi parmi