Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

excepté les chefs, ne se faisait remarquer, et, quand cela serait arrivé, le poêle ne pouvait faire valoir l’un, de peur d’offenser les autres. Il dut consulter l’almanach de la Cour et de l’État, et cela donna à la peinture des personnages assez de sécheresse. Les contemporains lui faisaient déjà le reproche d’avoir peint les chevaux mieux que les hommes. Mais ne serait-ce pas justement un sujet d’éloge, qu’il eût montré son art, quand il s’offrait un objet pour l’exercer ? Au reste, la difficulté fondamentale paraît l’avoir bientôt frappé, car le poëme ne s’étendit pas au delà du premier chant.


Je fus surpris au milieu de ces études et de ces méditations par un événement inattendu, qui anéantit mon louable projet de recommencer à fond l’étude de notre littérature nouvelle. Mon compatriote Jean-George Schlosser[1], après avoir passé dans un travail diligent et soutenu ses années d’université, suivant la route ordinaire, s’était voué dans sa ville natale à la pratique du barreau ; mais, par diverses raisons, sa vive intelligence, qui aspirait à l’universel, se trouva mal satisfaite dans cette position. Il accepta sans hésiter une place de secrétaire intime chez le duc Frédéric-Eugène de Wurtemberg, qui résidait à Treptow. Car on citait ce prince parmi les grands qui songeaient à s’éclairer et à réunir, pour des fins meilleures et plus élevées, eux, les leurs et tout l’État, d’une manière noble et indépendante. C’est ce prince Frédéric qui, cherchant des conseils pour l’éducation de ses enfants, avait écrit à Rousseau, dont la célèbre réponse commence par ces paroles remarquables : « Si j’avais le malheur d’être né prince. »

Schlosser devait, sinon présider, du moins coopérer de son action et de ses conseils, non-seulement aux affaires du prince, mais aussi à l’éducation de ses enfants. Cet homme, jeune, d’un caractère noble, animé des meilleures intentions, d’une pureté de mœurs irréprochable, aurait facilement éloigné les gens par une certaine sécheresse, si sa belle et remarquable culture littéraire, ses connaissances philologiques, son habileté à écrire en vers et en prose, n’avaient attiré tout le monde à lui et rendu son commerce plus facile. On m’avait annoncé qu’il passerait par Leipzig, et j’attendais son arrivée avec impatience. Il descendit dans une petite auberge, située dans le Bruhl, et

  1. Il épousa plus tard la sœur de Goethe.