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noncement à tout ce qu’il a aimé et goûté jusque-là. Au bout de quelque temps et après bien des combats, je conçus un si grand mépris pour mes travaux commencés ou achevés, que, ramassant un jour poésie et prose, plans, esquisses, ébauches, je brûlai tout sur le foyer de la cuisine, et, remplissant toute la maison d’une épaisse fumée, je causai une grande frayeur à notre bonne vieille hôtesse




LIVRE VII.


Nous possédons tant de bons ouvrages sur l’état de la littérature allemande à l’époque dont je parle, qu’ils suffisent pleinement à l’instruction de toute personne qui prend à ces choses quelque intérêt, d’autant plus que les jugements qu’on en porte sont, me semble-t-il, assez d’accord, et, si je me propose de présenter actuellement sur ce sujet quelques réflexions éparses et détachées, c’est moins pour établir ce qu’était la littérature en elle-même que dans ses rapports avec moi. Je parlerai donc en premier lieu de ce qui passionne surtout le public, des deux ennemis héréditaires de toute vie heureuse et de toute poésie indépendante, sereine et vivante, je veux dire la satire et la critique.

Dans les temps paisibles, chacun veut vivre à sa manière ; le bourgeois veut vaquer à son métier, à ses affaires, et se réjouir ensuite : de même, l’écrivain se plaît à composer quelque chose, à publier ses travaux, pour lesquels il espère de recueillir, sinon des récompenses, du moins des éloges, parce qu’il croit avoir fait une chose bonne et utile. Le bourgeois est troublé dans ce repos par le satirique, l’auteur par le critique, et la société paisible est ainsi jetée dans un mouvement désagréable.

L’époque littéraire dans laquelle je suis né s’est développée de la précédente par opposition. L’Allemagne, si longtemps inondée par des peuples étrangers, envahie par d’autres nations, obligée de recourir aux langues étrangères dans les discussions savantes et diplomatiques, ne pouvait absolument cultiver la sienne. Elle était forcée de recevoir une foule de termes exotiques, nécessaires ou superflus, pour exprimer nombre d’idées nouvelles, et l’on était engagé à se servir également d’expressions et de tournures étrangères pour des objets déjà connus. L’Allemand, que deux siècles d’une situation malheureuse et tumultuaire avaient rendu sauvage, allait à l’école chez les Français pour apprendre la politesse, et chez les Romains pour s’exprimer dignement. Mais c’est ce qui devait se faire dans la langue maternelle, car l’emploi direct des idiomes étrangers et leur demi-naturalisation rendaient ridicule aussi bien le langage du monde que celui des affaires. De plus, on adoptait sans mesure les expres-