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dame avait l’humeur plus impérieuse et plus doctorale ; aussi me déplaisait-elle souverainement, et, pour la braver, je revenais souvent aux mauvaises habitudes dont Mme Bœhme m’avait déjà désaccoutumé. Cependant elles se montraient patientes avec moi ; elles m’enseignaient le piquet, l’hombre et d’autres jeux pareils, dont la connaissance et l’habitude sont jugées indispensables dans la société.

Mais ce fut sur mon goût que Mme Bœhme eut la plus grande influence, d’une manière plus négative, il est vrai, en quoi elle était du reste parfaitement d’accord avec les critiques. Le flot de Gottsched avait inondé le monde allemand d’un véritable déluge, qui menaçait de dépasser les plus hautes montagnes. Avant qu’une pareille marée se retire, avant que le limon se dessèche, il s’écoule bien du temps, et comme, à chaque époque, pullulent les poètes imitateurs, l’imitation du superficiel et du fade produisit un fatras dont nous avons à peine encore une idée. Aussi, trouver mauvais le mauvais était le suprême plaisir, le triomphe des critiques du temps. Avait-on quelque bon sens, une connaissance superficielle des anciens et un peu plus approfondie des modernes, on se croyait en possession d’une mesure qu’on pouvait appliquer à tout. Mme Bœhme était une personne cultivée, à qui répugnaient l’insignifiant, le faible et le vulgaire ; d’ailleurs son mari vivait en guerre avec la poésie, et il ne pouvait souffrir ce que madame aurait peut-être approuvé. Elle m’écouta, il est vrai, quelque temps avec patience, quand je m’avisais de lui réciter des vers ou de la prose d’écrivains déjà renommés : car, alors comme auparavant, je retenais par cœur ce que j’avais trouvé quelque peu à mon gré ; mais sa complaisance ne fut pas de longue durée. Et d’abord je l’entendis rabaisser affreusement les poètes à la façon de Weisse, dont on ne cessait pas alors de répéter les vers avec admiration, et qui m’avait singulièrement charmé. Quand j’y regardai de plus près, je ne pus lui donner tort. J’avais aussi hasardé quelquefois de lui réciter des vers de ma façon, mais en gardant l’anonyme. Ils ne furent pas mieux reçus que les autres. C’est ainsi qu’en peu de temps ces belles prairies émaillées, que m’offraient les vallées du Parnasse allemand, et où je me promenais avec tant