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bre d’années plus qu’il ne s’en servait : de là une préférence pour certaines coupes et certains ajustements surannés, qui donnaient parfois à notre mise quelque chose de singulier.

C’est ainsi qu’on avait monté ma garde-robe pour l’université ; elle était complète et belle, et il s’y trouvait même un habit galonné. Accoutumé à cet équipage, je me croyais assez bien mis, mais, avant qu’il fût longtemps, mes amies me persuadèrent, d’abord par de légères moqueries, puis par de sages représentations, que je semblais tomber d’un autre monde. Quel que fût mon chagrin, je ne voyais pas d’abord comment je pourrais remédier à la chose ; mais, quand M. des Masures, ce poétique gentilhomme villageois, si chéri du public, se fut montré sur la scène dans le même costume, et qu’il eut provoquéde bons rires par le ridicule de son ajustement, plus encore que de son esprit, ma résolution fut prise, et je me permis d’échanger tout d’un coup, contre des habits à la nouvelle mode et au goût de Leipzig, ma garde-robe entière, qui en fut bien réduite.

Après cette première épreuve, je dus en soutenir une autre, qui me fut beaucoup plus désagréable, parce qu’elle concernait une chose qu’on ne change et ne quitte pas aussi aisément. J’étais né et j’avais été élevé dans un pays de haut-allemand, et, quoique mon père observât toujours une certaine pureté de langage ; que, dès notre enfance, il eût fixé notre attention sur ce qu’on peut appeler les vrais défauts de ce dialecte, et qu’il nous eût préparés à parler plus purement, cependant il me restait un grand nombre d’idiotismes plus enracinés, que je me plaisais à faire valoir, parce que j’en aimais la naïveté, et par là je m’attirais chaque fois une réprimande sévère de mes nouveaux concitoyens. En effet les hauts-Allemands, et peut-être plus que les autres ceux qui habitent près du Rhin et du Mein (parce que les grands fleuves, comme les rivages de la mer, ont toujours quelque chose de vivifiant), s’expriment beaucoup par figures et par allusions, et se servent, avec un bon sens remarquable, de locutions proverbiales. Dans l’un et l’autre cas, ils sont souvent un peu verts, mais toujours convenables, si l’on considère l’objet de l’expression ; seulement il peut se glisser, de temps en temps, quelque chose qui blesse une oreille délicate.