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C’était fort aimable à lui de ne pas m’obliger à lui répondre sur-le-champ. Ses arguments et la gravité avec laquelle il les présentait avaient déjà convaincu ma docile jeunesse, et je commençai à voir les difficultés et les dangers d’une chose que je m’étais à part moi figurée si praticable. Bientôt après, Mme Bœhme me fit inviter à l’aller voir. Je la trouvai seule. Elle avait passé la jeunesse ; elle était fort maladive, infiniment douce et tendre, et formait avec son mari, bonhomme un peu bourru, un parfait contraste. Elle me mit sur les discours que le conseiller m’avait tenus, et me représenta de nouveau la chose avec tant de douceur, d’amitié et de raison, qu’il me fallut céder ; les réserves, peu nombreuses, sur lesquelles j’insistai, furent approuvées aussi par les deux époux. Là-dessus, Mme Bœhme régla mes heures ; je devais suivre un cours de philosophie, d’histoire du droit, d’institutes, et quelques autres. Je consentis à tout, mais je voulus absolument suivre aussi le cours d’histoire littéraire que Gellert donnait d’après Stockhansen, et de plus ses exercices pratiques.

Le respect et l’amour de tous les jeunes gens pour Gellert était extraordinaire. Je lui avais déjà rendu visite, et j’en avais été reçu avec bienveillance. Gellert n’était pas grand ; sa taille était mince, mais sans maigreur ; son regard était doux, même triste ; un très-beau front, un nez aquilin pas trop prononcé, la bouche fine, le visage d’un bel ovale, tout rendait sa personne agréable et attrayante. Il fallait quelque peine pour arriver jusqu’à lui ; ses deux serviteurs semblaient des prêtres qui gardent un sanctuaire, dans lequel tout le monde n’est pas admis et où l’on n’entre pas à toute heure. Et cette précaution était bien nécessaire, car il aurait sacrifié toute sa journée, s’il avait voulu recevoir et contenter toutes les personnes qui désiraient l’approcher familièrement.

Je suivis d’abord un cours, avec une assiduité irréprochable. Cependant la philosophie n’éclairait point mon intelligence. Dans la logique, je trouvais bizarre que, ces grandes opérations de l’esprit, que j’avais exécutées dès mon jeune âge avec la plus grande facilité, il me fallût les déchiqueter, les isoler, et presque les détruire, pour en découvrir le véritable usage. Sur l’être, sur le monde, sur Dieu, je croyais en savoir à peu près