Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

droit public. C’était un homme vif, petit, ramassé. Il me reçut assez amicalement et me présenta à sa femme. Tous deux, comme les autres personnes que je visitai, me donnèrent les meilleures espérances au sujet de mon séjour à Leipzig ; toutefois je ne fis d’abord connaître à personne mon secret dessein, bien qu’il me tardât de voir arriver le moment opportun pour secouer franchement les chaînes de la jurisprudence et m’adonner à l’étude des anciens. J’attendis prudemment le départ de Fleischer, de peur que ma famille ne fût trop tôt informée de mon projet. Mais, aussitôt après, j’allai droit au conseiller Bœhme, à qui je croyais devoir tout premièrement confier la chose, et lui exposai mon dessein avec beaucoup de franchise et de beaux raisonnements : mais je ne vis point ma communication favorablement accueillie. Comme historien et publiciste, il avait une haine prononcée pour tout ce qui sentait les belleslettres. Par malheur, il n’était pas au mieux avec ceux qui les cultivaient, et surtout il ne pouvait souffrir Gellert, pour qui j’avais témoigné assez maladroitement les sentiments d’une grande confiance. Adresser à ces hommes un fidèle auditeur et s’en ôter un à lui-même, surtout dans les circonstances données, lui paraissait absolument inadmissible. Il me fit donc sur-le-champ une vive remontrance, et me déclara qu’il ne pouvait, sans l’a permission de mes parents, autoriser une pareille démarche, quand même, ce qui n’était point le cas, il l’aurait lui-même approuvée. Là-dessus, il invectiva contre la philologie et les études de langues et plus encore contre les essais poétiques, que j’avais laissé entrevoir de loin. Il finit par dire que, si je voulais aborder l’étude de l’antiquité, la jurisprudence était la meilleure voie que je pourrais suivre. Il me rappela plusieurs jurisconsultes « élégants, » Eberhard Otto et Heineccius ; me promit des montagnes d’or dans les antiquités romaines et l’histoire du droit, et me prouva, clair comme le jour, que ce n’était pas même faire un détour, si, plus tard, après mûre réflexion et avec l’autorisation de mes parents, je persistais dans mon projet. Il m’invita amicalement à réfléchir encore à la chose et à lui découvrir bientôt mes sentiments, parce que, les cours allant s’ouvrir, il était nécessaire de se résoudre sans retard.