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regardai tout de bon comme un acte de légitime défense la résolution de me tracer un plan d’études et de vie particulier, contraire à ses sentiments et à sa volonté. L’obstination de mon père, qui, sans le savoir, s’opposait à mes projets, me fortifia dans mon impiété jusqu’à pouvoir sans remords l’écouter, des heures entières, m’exposant et me répétant le plan d’études et de vie que je devrais suivre à l’université et dans le monde.

Ayant perdu toute espérance d’aller à Gœttingue, je tournai mes regards vers Leipzig. Ernesti m’y apparaissait comme une brillante lumière ; Morns inspirait déjà beaucoup de confiance. Je me traçai en moi-même un contre-projet, ou plutôt je me bâtis un fantastique château sur un fond assez solide ; il me semblait à la fois romanesque et honorable de se tracer à soi-même sa carrière, et la mienne me paraissait d’autant moins illusoire que Griesbach avait déjà fait dans la même voie de grands progrès, et en avait été loué de chacun. La secrète joie d’un captif qui achève de briser ses fers et de limer les barreaux de sa prison ne peut être plus grande que n’était la mienne, à voir les jours s’écouler et octobre s’approcher. La triste saison, les mauvais chemins, dont chacun savait me parler, ne m’effrayaient pas. La pensée de m’établir en hiver dans une ville étrangère ne me donnait aucun souci ; en un mot, je ne voyais de sombre que ma situation présente, et le reste du monde, que je ne connaissais pas, je me le figurais lumineux et serein. Tels étaient les songes que je me composais, auxquels je m’attachais uniquement, et je ne me promettais dans le lointain que bonheur et plaisir.

Je ne confiais à personne mes secrets desseins, cependant je ne pus les cacher à ma sœur. Elle en fut d’abord effrayée ; mais elle finit par se calmer, quand je lui promis de venir la chercher pour jouir avec moi de la brillante position que je me serais faite et prendre part à mon bien-être.

Elle arriva enfin, cette Saint-Michel impatiemment attendue, et je partis bien joyeux avec le libraire Fleischer et sa femme, née Triller, qui allait voir son père à Wittenberg, et je laissai derrière moi la bonne ville qui fut ma mère et ma nourrice avec la même indifférence que si je n’avais voulu y rentrer de