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aux fausses maximes : la vie l’en détourne bientôt par force ou par séduction.

La belle saison était venue ; nous sortions souvent ensemble et nous visitions les jardins publics, qui se trouvaient en grand nombre autour de la ville. Mais c’était là justement que je me sentais le moins à mon aise : mon imagination y retrouvait partout les cousins ; je craignais toujours de voir l’un d’eux paraître. D’ailleurs je trouvais importuns les regards les plus indifférents. J’avais perdu la jouissance irréfléchie d’aller et venir inconnu et irréprochable, sans songer, dans la plus grande foule, à aucun observateur. Alors commença de me tourmenter l’idée hypocondre, que j’attirais l’attention des gens, que leurs yeux étaient fixés sur ma personne, pour l’observer, l’épier et la blâmer. J’entraînais donc mon ami dans les bois, et, fuyant les plus uniformes, je cherchais ces belles forêts ombreuses, qui, sans occuper un grand espace dans 1 a contrée, sont néanmoins assez étendues pour offrir à un pauvre cœur blessé un secret refuge. J’avais choisi, dans la profondeur de la forêt : une place sombre, où les chênes et les hêtres les plus vieux formaient un grand et magnifique espace ombragé. Le sol, un peu incliné, ne.rendait que plus remarquable la beauté des vieux troncs. Autour de cette libre enceinte se pressaient d’épaisses broussailles, au-dessus desquelles se montraient des roches moussues, puissantes, majestueuses, qui imprimaient une chute rapide à un large ruisseau.

Dès que j’eus entraîné dans ce lieu mon ami, qui se trouvait mieux dans les campagnes ouvertes, au bord de la rivière, parmi les hommes, il m’assura en riant que je me montrais un véritable Germain. Il me conta en détail, d’après Tacite, comme nos ancêtres s’étaient contentés des émotions que la nature nous ménage si puissamment dans ces solitudes par sa naïve architecture. Après l’avoir écouté quelques moments, je m’écriai : « Oh ! pourquoi ce lieu admirable n’est-il pas au fond d’un désert ! Pourquoi ne pouvons-nous élever une haie alentour, pour le consacrer, et nous avec lui, et nous séparer du monde ! Certainement, il n’est point de culte plus beau que celui qui se passe d’images, qui naît dans notre cœur de nos entretiens avec la nature ! » Ce que je sentis alors m’est tou-