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sie suppose une certaine foi à l’impossible, et la religion une foi pareille à l’impénétrable, les philosophes, qui voulaient expliquer et démontrer l’un et l’autre dans leur domaine, me semblaient être dans une position très-difficile, et je reconnus aussi très-vite, par l’histoire de la philosophie, que chacun cherchait toujours une autre base que ses devanciers, et qu’enfin le sceptique déclarait tout sans base et sans fond.

Cependant cette histoire de la philosophie, que mon ami se vit obligé de passer en revue avec moi, parce que je ne pouvais tirer aucun fruit de l’exposition dogmatique, m’offrit beaucoup d’intérêt, mais seulement en ce sens, qu’une doctrine, une opinion, me paraissait aussi bonne qu’une autre, pour autant du moins que j’étais capable de les saisir. Ce qui me plaisait surtout dans les écoles et les philosophes les plus anciens, c’est que la poésie, la religion et la philosophie étaient confondues ensemble, et je soutenais avec d’autant plus de vivacité ma première opinion, que le livre de Job, le Cantique et les Proverbes de Salomon, aussi bien que les poésies d’Orphée et d’Hésiode, me semblaient témoigner pour elle. Mon ami avait pris le petit Broucher pour base de son exposé, et, plus nous avancions, moins je savais quel parti en tirer. Je ne pouvais m’expliquer clairement ce que voulaient les premiers philosophes grecs. Socrate était à mes yeux un homme excellent et sage, qui, dans sa vie et sa mort, pouvait être comparé au Christ. Ses disciples à leur tour me paraissaient avoir un grand rapport avec les apôtres, qui se divisèrent d’abord après la mort du maître, et, manifestement, chacun ne tenait pour vrai qu’un point de vue borné. Ni la subtilité d’Aristote ni l’abondance de Platon ne fructifièrent en moi le moins du monde. En revanche, je m’étais déjà senti de bonne heure quelque penchant pour les stoïciens, et je me procurai un Épictète, que j’étudiai avec un vif intérêt. Mon ami me voyait à regret prendre cette direction exclusive, dont il était incapable de me détourner. C’est que, malgré la variété de ses études, il ne savait pas résumer la question principale. Il n’aurait eu qu’à me dire que, dans la vie, l’essentiel est d’agir, que le plaisir et la douleur se trouvent d’eux-mêmes. Au reste, il suffit de laisser faire la jeunesse ; elle ne s’attache pas très-longtemps