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preté, à la bienséance, quoique sous un régime sévère, jetés une fois dans une masse grossière de jeunes êtres, eurent tout à coup mille choses à souffrir de la vulgarité, de la méchanceté, même de la bassesse, parce qu’ils manquaient totalement des armes et des moyens nécessaires pour s’en défendre.

Ce fut, à vrai dire, vers ce temps-là que je commençai à observer ma ville natale, car je la parcourus peu à peu, toujours plus librement, tantôt seul, tantôt avec de joyeux camarades. Pour communiquer, dans une certaine mesure, l’impression que firent sur moi ces graves et nobles alentours, il faut que je présente, par anticipation, la description de mon lieu natal, tel qu’il se développa successivement devant moi dans ses différentes parties. Ma promenade favorite était le grand pont du Mein. Sa longueur, sa solidité, sa bonne apparence, en faisaient une construction remarquable ; c’est aussi, peu s’en faut, le seul monument ancien de cette prévoyance à laquelle l’autorité civile est obligée envers les citoyens. La belle rivière attirait mes regards en amont et en aval ; et, quand le coq doré qui surmontait la croix du pont brillait aux rayons du soleil, cela faisait toujours sur moi une agréable impression. De là notre promenade se dirigeait d’ordinaire à travers Sachsenhausen[1], et, pour un creutzer, nous avions le plaisir du passage. On se retrouvait alors en deçà du Mein ; on allait visiter le marché aux vins ; nous admirions le mécanisme des grues, lorsqu’on déchargeait des marchandises ; mais, ce qui nous amusait surtout, c’était l’arrivée des bateaux du marché, d’où l’on voyait descendre des figures si diverses et parfois si étranges. Rentrait-on dans la ville, on ne manquait pas de saluer avec respect le Saalhof, qui du moins occupait la place présumée du Bourg de Charlemagne et de ses successeurs. On se perdait volontiers dans la vieille cité industrielle, et, surtout le jour du marché, dans la cohue qui se pressait autour de l’église de Saint-Barthélémy. C’est là que, dès les temps les plus anciens, se pressait confusément la foule des vendeurs et des acheteurs, et cette prise de possession a rendu plus tard difficile l’établissement d’une place spacieuse et riante. Les boutiques du Pfarreisen

  1. Faubourg de Francfort, sur la rive gauche du Mein.