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de vous et de vos relations avec elle, elle a dit avec une entière franchise : « Je ne puis nier que je l’ai vu souvent et avec plaisir ; mais je l’ai toujours regardé comme un enfant, et mon affection pour lui était vraiment celle d’une sœur. Dans plusieurs occasions, je lui ai donné de bons conseils, et loin de le porter à des actions équivoques, je l’ai empêché de prendre part à des espiègleries qui auraient pu lui attirer des chagrins. »

Mon ami continua de faire parler Marguerite comme une institutrice, mais déjà je ne l’écoutais plus ; car je pris pour un sanglant affront qu’elle m’eût traité d’enfant dans l’interrogatoire, et je me crus soudain guéri de toute passion pour elle ; je me hâtai même d’assurer à mon ami que c’était désormais une chose finie. En effet, je ne lui parlai plus d’elle, je ne prononçais plus son nom, mais je ne pouvais perdre la mauvaise habitude de penser à elle, de me représenter sa figure, son air, ses manières, qui m’apparaissaient désormais dans un tout autre jour. Je trouvais insupportable qu’une jeune fille, plus âgée que moi de deux ans tout au plus, osât me traiter d’enfant, moi qui prétendais être un jeune garçon très-raisonnable et très-habile. Alors ses manières froides et sévères, qui avaient eu pour moi tant d’attraits, me semblèrent tout à fait choquantes ; les familiarités qu’elle se permettait à mon égard, mais qu’elle ne me laissait pas prendre à mon tour, m’étaient tout à fait odieuses. Cependant j’aurais passé sur tout cela, si, en signant l’épître amoureuse, où elle me faisait une formelle déclaration d’amour, elle ne m’avait pas donné le droit de la tenir pour une égoïste et rusée coquette. Déguisée en marchande de modes, elle ne me paraissait plus si innocente, et je ne cessai pas de rouler dans mon esprit ces fâcheuses réflexions, jusqu’à ce que je l’eusse dépouillée de toutes ses qualités aimables. Ma raison était convaincue, et je croyais devoir me détourner de Marguerite, mais son image !… son image me démentait chaque fois qu’elle revenait à ma pensée, et, je l’avoue, cela m’arrivait encore bien souvent !

Cependant cette flèche barbelée était arrachée de mon cœur, et il s’agissait de savoir comment on viendrait en aide à la vertu salutaire que porte en soi la jeunesse. Je fis un effort sur moi-même, et je commençai par me défaire aussitôt des pleurs et