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ouverture, comme on peut le faire pour une maison bien bâtie, mais par là était mise dans le jour le plus éclatant la plus laide et la plus informe de toutes les façades. On s’en divertissait d’abord, comme on peut faire des farces de paillasse (et pourtant ce n’était pas sans inquiétude, parce que chacun devait y voir quelque chose de prémédité. On avait déjà glosé sur les autres façons d’agir de ce Plotho, d’ailleurs si estimé, et, comme les cœurs étaient pour lui, on avait aussi admiré en lui le malin personnage, accoutumé à se mettre, comme son roi, au-dessus de tout cérémonial), cependant on retournait plus volontiers au royaume de fées d’Esterhazy.

Ce noble ambassadeur, pour faire honneur à ce jour, avait complètement laissé de côté son quartier dont la situation était défavorable, et, en échange, s’étant emparé de la grande esplanade des tilleuls qui touche au Rossmarkt, il l’avait fait décorer par devant d’un portail en feux colorés, et, dans le fond, d’une perspective encore plus magnifique. Des lampions marquaient toute l’enceinte ; entre les arbres s’élevaient des pyramides lumineuses et des globes sur des piédestaux transparents ; d’un arbre à l’autre couraient des guirlandes étincelantes, auxquelles des lustres étaient suspendus. Dans plusieurs endroits, on distribuait au peuple du pain et de la charcuterie, et on ne le laissait pas manquer de vin.

C’est là que les deux couples se promenaient ensemble, bras dessus bras dessous, dans une joie parfaite. Au côté de Marguerite, je croyais véritablement parcourir ces heureuses campagnes de l’Élysée, où l’on cueille aux arbres des vases de cristal qui se remplissent aussitôt du vin qu’on désire, et où l’on secoue de la branche des fruits qui se métamorphosent en tous les mets qu’on souhaite. Nous finîmes aussi par sentir le besoin de nous restaurer : sous la conduite de Pylade, nous trouvâmes un traiteur de très-bonne apparence, et, comme nous n’y rencontrâmes pas d’autres convives, parce que tout le monde courait les rues, nous prîmes plus à l’aise nos ébats, et nous passâmes, de la manière la plus gaie et la plus heureuse, une grande partie de la nuit dans les jouissances de la tendresse, de l’amour et de l’amitié. Quand j’eus accompagné Marguerite jusqu’à sa porte, elle me baisa au front. C’était la première fois