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soudaine nous fait plus déplaisir à nous-mêmes et, par nous, aux auditeurs, que le plan le mieux médité. Je trouvai à peu près la même société, mais il y avait dans le nombre quelques inconnus. Ils se mirent à jouer. Marguerite et le jeune cousin se tinrent seuls à mes côtés devant la table d’ardoise. La bonne jeune fille exprima avec beaucoup de bonne grâce son contentement de ce qu’on l’avait traitée, elle étrangère, comme une bourgeoise, le jour de l’élection, et de ce qu’elle avait pu jouir de ce spectacle unique. Elle me remercia vivement de m’être occupé d’elle, et d’avoir eu jusqu’alors l’attention de lui procurer, par Pylade, toute sorte d’entrées, nu moyen de billets, d’avertissements, d’amis et de recommandations. Elle aimait à entendre parler des joyaux de l’Empire ; je lui promis que, si le chose se pouvait, nous les verrions ensemble. Elle fit quelques réflexions badines, quand elle apprit qu’on avait essayé les habits et la couronne au jeune roi. Je savais où elle serait placée pour voir les solennités du couronnement, et je la rendis attentive à tout ce qui devait se passer, et à ce qui pourrait surtout être bien observé de sa place.

Nous négligeâmes ainsi de penser au temps ; il était déjà plus de minuit, et je m’aperçus que, par malheur, je n’avais pas sur moi la clef de la maison. Je ne pouvais rentrer sans faire beaucoup de bruit. Je fis part à Marguerite de mon embarras. « Au bout du compte, dit-elle, le mieux sera que la société reste réunie. » Les cousins et les étrangers avaient eu déjà cette idée, parce qu’on ne savait où les loger pour cette nuit. La chose fut bientôt décidée. Marguerite alla faire du café, après nous avoir apporté, toute préparée et allumée (les chandelles étant à bout), une grande lampe de laiton, dont se servait la famille. Le café nous réveilla pour quelques heures, mais peu à peu le jeu se ralentit, la conversation cessa ; la mère dormait dans le grand fauteuil ; les étrangers, fatigués du voyage, s’assoupirent ça et là ; Pylade et sa belle étaient assis dans un coin ; elle avait appuyé sa tête sur l’épaule de son amant et sommeillait. Lui-même, il ne resta pas longtemps éveillé. Le jeune cousin, assis en face de nous, devant la table d’ardoise, avait croisé les bras et dormait, le visage appuyé dessus. J’étais assis au coin de la fenêtre, derrière la table, et Marguerite à côté de moi. Nous cau-