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parce qu’il me rappelait le maréchal de Broglie. Mais la figure et la dignité de ces excellents personnages s’effaçaient en quelque sorte devant les préventions qu’avait inspirées l’envoyé de Brandebourg, le baron de Plotho. Cet homme, qui se distinguait par une certaine parcimonie dans son habillement comme dans ses livrées et ses équipages, était célèbre, depuis la guerre de Sept ans, comme un héros diplomatique. A Ratisbonne, comme l’actuaire April, accompagné de quelques témoins, se disposait à lui notifier la mise au ban de l’Empire, prononcée contre son roi, il l’arrêta par cette repartie laconique : « Qui ? toi, notifier ?… » et il l’avait jeté ou fait jeter en bas de l’escalier. Nous avions adopté la première version, parce qu’elle nous plaisait mieux, et que nous en jugions parfaitement capable ce petit homme ramassé, aux yeux noirs, qui jetaient ça et là des traits de flamme. Tous les regards étaient fixés sur lui, surtout lorsqu’il descendait de voiture. Il s’élevait chaque fois comme un joyeux murmure, et peu s’en fallait qu’on ne l’applaudît et qu’on ne criât vivat ou bravo. Tant le roi était haut placé dans l’opinion, et tout ce qui lui était dévoué corps et unie, en faveur auprès de la multitude, parmi laquelle se trouvaient, outre les habitants de la ville, des Allemands venus de toutes parts !

D’un côté, ces choses m’intéressaient à divers égards, parce que les actes de toute espèce renfermaient toujours une certaine signification, annonçaient quelque relation intérieure, et que ces cérémonies symboliques faisaient revivre à nos yeux pour un moment l’empire d’Allemagne, presque enseveli sous tant de parchemins, de papiers et de livres ; mais, d’un autre côté, je ne pouvais me dissimuler un chagrin secret, quand, revenu chez nous, je devais transcrire pour mon père les débats intérieurs, et reconnaître qu’il y avait là plusieurs puissances rivales qui se faisaient équilibre, et qui s’entendaient seulement pour limiter le nouveau souverain plus encore que l’ancien ; que chacun se complaisait dans son influence uniquement pour maintenir, pour étendre ses privilèges et pour affermir son indépendance. On fut même cette fois plus attentif que de coutume, parce qu’on commençait à craindre Joseph II, son ardeur et les plans qu’on lui supposait.