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sur le bord de la table ; elle pouvait rester comme cela longtemps assise, sans autre geste qu’un mouvement de tête, qu’elle ne faisait jamais sans sujet ou sans signification. Elle avait placé quelquefois un petit mot, et nous avait aidés ici ou là, quand nous hésitions dans nos arrangements, puis elle redevenait calme et tranquille comme à l’ordinaire. Je ne la quittais pas des yeux, et l’on s’imagine aisément que je n’avais pas conçu et exposé mon plan sans rapport avec elle ; mon amour donnait à mes paroles un air de vérité et de vraisemblance, qui me fit un moment illusion à moi-même ; je me voyais isolé, sans secours, comme ma fable le supposait, et, avec cela, je me sentais au comble du bonheur dans la perspective de la posséder. Pylade avait terminé sa confession par le mariage, et nous nous demandâmes à notre tour si, dans nos plans, nous irions jusque-là. « Je n’en doute nullement, m’écriai-je, car une femme est nécessaire à chacun de nous, afin de conserver dans la maison et de rassembler pour notre jouissance ce que nous aurons grappillé au dehors d’une si merveilleuse manière. » Là-dessus je fis la peinture d’une femme comme je la désirais, et il eût été bien étrange qu’elle ne fût pas tout le portrait de Marguerite.

Le chant funèbre était mangé ; l’épithalame ne tarda pas à nous offrir sa ressource. Je surmontai toute crainte et tout souci, et, comme j’avais beaucoup de connaissances, je sus cacher à mes parents mes véritables amusements du soir. Voir l’aimable jeune fille, être auprès d’elle, fut bientôt une chose nécessaire à ma vie. Les amis s’étaient aussi accoutumés à moi, et nos réunions étaient presque journalières, comme si la chose n’avait pu aller autrement. Pylade avait introduit sa belle dans la maison, et ce couple passa bien des soirées avec nous. Comme fiancés, mais en germe bien faible encore, ils ne cachaient point leur tendresse. Toute la conduite de Marguerite à mon égard était faite pour me tenir à distance. Elle ne donnait la main à personne, et ne me la donna pas non plus ; elle ne souffrait aucun attouchement ; seulement, elle se plaçait quelque fois à mon côté, surtout si j’écrivais ou si je lui faisais une lecture ; alors elle posait familièrement son bras sur mon épaule ; elle me suivait des yeux dans le livre ou sur le papier : mais, si je voulais prendre