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Je ne refusai point. On me fit connaître les personnes, les relations de famille ; je me tirai un peu à l’écart, je fis mon plan et composai quelques strophes. Mais, comme je rejoignis la société et que le vin ne fut pas épargné, les vers cessèrent de couler et je ne pus les livrer le même soir. « Nous avons jusqu’à demain soir, dirent-ils, et nous voulons cependant vous l’avouer, les honoraires que nous recevrons pour le chant funèbre, suffisent pour nous faire encore passer demain une agréable soirée. Venez chez nous, car il est juste que Marguerite soit de la partie, puisque c’est elle, à vrai dire, qui nous a donné cette idée. » Ma joie était inexprimable. En revenant chez moi, je n’eus en tête que les strophes qui manquaient encore ; j’écrivis le tout avant de me coucher, et, le lendemain, je le mis au net proprement. Le jour me parut d’une longueur infinie, et à peine la nuit fut-elle venue, que je me retrouvai dans l’étroite maisonnette, auprès de la charmante Marguerite.

Les jeunes hommes avec lesquels j’entrai de la sorte dans une liaison toujours plus intime n’étaient pas des gens communs, mais ordinaires. Leur activité était louable et je les écoutais avec plaisir, quand ils discouraient sur les voies et moyens par lesquels on peut gagner quelque chose ; ils aimaient surtout à parler des hommes devenus très-riches, qui avaient commencé avec rien. Les uns s’étaient rendus nécessaires à leurs patrons comme pauvres commis, et avaient fini par devenir leurs gendres ; les autres avaient si bien étendu et relevé un petit commerce d’allumettes ou d’autres bagatelles, qu’ils figuraient aujourd’hui comme riches négociants. Des jeunes gens, qui avaient de bonnes jambes, trouvaient surtout des ressources et des profits excellents dans le métier de galopin et de courtier, et dans l’entreprise de commissions et de gérances diverses pour des riches invalides. Chacun de nous écoutait volontiers ces discours ; chacun se croyait quelque chose, quand il se représentait, dans le moment, qu’il y avait en lui assez d’étoffe pour s’avancer dans le monde et même pour faire une fortune extraordinaire. Mais personne ne semblait mettre à ces entretiens plus de sérieux que Pylade, qui finit par avouer qu’il aimait passionnément une jeune fille, et qu’ils s’étaient promis une foi mutuelle. La position de ses parents ne lui permettait