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conversation roula presque uniquement sur la mystification du jeune sot, qui, après avoir lu la lettre plusieurs fois, n’était pas éloigné de croire qu’il l’avait composée lui-même. Ma bienveillance naturelle me fit trouver peu de plaisir à cette malicieuse menterie, et je fus bientôt dégoûté d’entendre répéter le même thème. J’aurais donc passé une ennuyeuse soirée, si une apparition inattendue n’était venue me ranimer. A notre arrivée, la table s’était trouvée proprement et joliment servie ; le vin ne manquait pas ; nous nous étions mis à table, et nous étions restés seuls, sans avoir besoin de personne pour le service. Mais, le vin ayant fini par manquer, quelqu’un appela la servante, et, à sa place, vint une jeune fille d’une beauté rare et même incroyable dans une pareille condition.

« Que désirez-vous ? dit-elle, après nous avoir souhaité gracieusement le bonsoir. La servante est malade et couchée. Puis-je vous servir ? — Nous manquons de vin, dit l’un ; si tu allais nous en quérir une couple de bouteilles, ce serait charmant. — Va, Marguerite ! dit l’autre. C’est à deux pas. — Volontiers, » répondit-elle. Elle prit sur la table deux bouteilles vides et partit. Sa tournure semblait encore plus élégante par derrière. Son petit bonnet coiffait si bien sa tête mignonne, unie à ses épaules par un col délicat, avec une grâce infinie. Tout en elle paraissait distingué, et l’on pouvait observer toute sa personne d’autant plus à l’aise, que l’attention n’était plus attirée et enchaînée par son regard calme et candide et par sa bouche gracieuse. Je fis des reproches à mes compagnons d’envoyer de nuit l’enfant toute seule. Ils se moquèrent de moi, et je fus bientôt rassuré en la voyant revenir. Le marchand de vin demeurait en face. « Eh bien, mets-toi à table avec nous, » dit l’un d’eux. Elle s’assit, mais, hélas ! ce ne fut pas à côté de moi. Elle but à notre santé, et s’éloigna bientôt, en nous conseillant de ne pas rester longtemps, et surtout de ne pas faire trop de bruit, parce que la mère allait se coucher. Ce n’était pas sa mère, mais celle de nos hôtes.

Des ce moment, l’image de la jeune fille me poursuivit partout. C’était la première impression durable qu’une femme eût faite sur moi, et, comme je ne pouvais trouver ni ne voulais inventer un prétexte pour la voir chez elle, je la cherchai à