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se signaler un jour dans l’État et dans l’Église. Pour moi, je nourrissais aussi la pensée de produire quelque chose d’extraordinaire ; mais que serait-ce ? Je ne le voyais pas clairement. Cependant, comme on songe plutôt à la récompense qu’on voudrait obtenir qu’au mérite qu’on devrait acquérir, je ne dissimulerai pas que, si je rêvais un bonheur digne d’envie, son image la plus ravissante était à mes yeux la couronne de laurier que l’on tresse pour le front du poète.




LIVRE V.

Il y a des appâts pour tous les oiseaux, et chaque homme est conduit et séduit à sa manière. La nature, l’éducation, le monde où je vivais, l’habitude, m’éloignaient de toute grossièreté, et, quoique je fusse souvent en contact avec les classes inférieures, surtout avec les artisans, il n’en résultait aucune liaison particulière. J’étais assez hardi pour entreprendre quelque chose d’extraordinaire, peut-être de dangereux, et je m’y sentais quelquefois disposé ; mais l’adresse me manquait pour commencer et agir. Cependant je fus engagé, d’une manière tout à fait inattendue, dans des relations qui me mirent à deux doigts d’un grand péril, et, du moins pour un temps, dans l’embarras et l’angoisse. Mes bons rapports avec le petit garçon que j’ai nommé Pylade avaient continué jusqu’à notre adolescence. Nous nous voyions, il est vrai, plus rarement, parce que nos parents n’étaient pas au mieux ensemble ; mais, si nous venions à nous rencontrer, aussitôt éclataient les transports de l’ancienne amitié. Nous nous retrouvâmes un jour dans les allées qui offraient une très-agréable promenade entre la porte intérieure et la porte extérieure de Saint-Gall. Nous nous étions à peine abordés, qu’il me dit : « J’en suis toujours avec tes vers au même point qu’autrefois. J’ai lu à quelques joyeux camarades ceux que tu m’as communiqués dernièrement, et aucun d’eux ne veut croire que c’est toi qui les as faits. — Sois tranquille, lui répliquai-je.