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premier avait eu certainement quelque influence sur la résolution de mon père.

Puisque j’en suis revenu à parler de peinture, je me rappelle un grand établissement, dans lequel je passai bien du temps, parce qu’il avait, ainsi que son chef, un attrait particulier pour moi. C’était la grande fabrique de toile cirée qu’avait établie le peintre Nothnagel, artiste habile, mais que son talent et sa façon de penser portaient vers la fabrique plus que vers les arts. Dans un vaste enclos de cours et de jardins se confectionnaient des toiles cirées de toute sorte, depuis la plus grossière, où la cire est appliquée avec l’amassette, et qu’on employait pour les voilures de bagages et autres usages pareils, jusqu’aux tapis, qui sont imprimés avec des formes, et aux qualités fines et superfines, sur lesquelles le pinceau d’ouvriers habiles reproduisait des fleurs chinoises, fantastiques ou naturelles, des figures ou des paysages. Cette variété infinie m’amusait fort. J’étais vivement intéressé par le spectacle de tous ces hommes occupés de travaux divers, depuis les plus communs jusqu’à ceux qui étaient en quelque sorte des œuvres d’art. Je fis connaissance avec tous ces gens, vieux et jeunes, qui travaillaient dans plusieurs chambres en enfilade, et quelquefois je mettais aussi la main à l’œuvre. Le débit de cette marchandise était prodigieux. Quiconque bâtissait ou meublait une maison voulait s’arranger pour la vie, et ces tapisseries cirées étaient indestructibles. Nothnagel avait assez affaire à diriger l’ensemble, et restait assis au comptoir, entouré de fadeurs et de commis. Ses instants de loisir, il les consacrait à sa collection d’objets d’art, qui consistait surtout en gravures, dont il faisait commerce dans l’occasion aussi bien que de ses tableaux. Il avait aussi aimé à graver ; on lui doit plusieurs eaux-fortes, et il a cultivé cette branche de l’art jusque dans ses dernières années.

Comme il demeurait près de la porte d’Eschenheim, après lui avoir fait visite, je commuais souvent mon chemin hors de la ville jusqu’à nos propriétés devant les portes. C’était une grande prairie plantée d’arbres fruitiers, dont mon père surveillait avec soin le remplacement et l’entretien, quoique le terrain en fût affermé ; une vigne, très-bien entretenue, qu’il possédait