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Francfort, on avait la tour devant soi, et le crâne frappait les yeux. Je m’étais fait conler dus mon enfance l’histoire de ces rebelles, de Fettmilch et de ses complices ; comme ils avaient été mécontents du gouvernement de la ville, s’étaient révoltés contre lui, avaient tramé une sédition, pillé la ville des juifs et provoqué d’affreux attentats, mais avaient été pris à la fin, et condamnés à mort par des commissaires impériaux. Plus tard, j’eus à cœur de savoir les détails, et quels hommes ils avaient été. Ayant donc appris par un livre contemporain, orné de gravures sur bois, que ces gens avaient été, il est vrai, condamnés à mort, mais qu’en même temps on avait aussi destitué nombre de sénateurs, parce qu’il avait régné assez de désordre et beaucoup d’arbitraire ; ayant su avec détail comment les choses s’étaient passées, je plaignis ces infortunés, qu’on pouvait considérer comme des victimes immolées à une meilleure constitution future : car c’est de ce temps que date l’institution en vertu de laquelle l’antique et noble maison de Limpourg, la maison de Frauenstein, sortie d’un club, enfin des juristes, des marchands et des artisans, durent prendre part à un gouvernement qui, complété par un ballottage compliqué, dans le goût de Venise, limité par des corporations bourgeoises, avait la mission de faire le bien, sans conserver trop de liberté pour le mal.

Au nombre des choses mystérieuses qui préoccupèrent l’enfant, et même aussi le jeune homme, il faut ranger particulièrement l’état de la ville des juifs, appelée proprement la rue des Juifs, parce qu’elle se compose à peine de plus d’une rue, qui, au temps passé, avait été resserrée, comme dans une prison, entre les murs de la ville et les fossés. Le défaut d’espace, la saleté, la presse, l’accent d’une langue déplaisante, tout ensemble faisait l’impression la plus désagréable, à l’observer seulement au passage devant la porte. Je tardai longtemps à m’y aventurer tout seul, et je n’y retournai guère, quand une fois j’eus échappé aux obsessions de tant de gens qui ne se lassaient pas de demander ou d’offrir quelque chose à brocanter. D’ailleurs les vieux contes sur la cruauté des juifs envers les enfants des chrétiens, dont j’avais vu d’horribles images dans la Chronique de Godefroi, flottaient devant mon jeune esprit