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vent remarqué et déclaré que l’Écriture sainte ne veut nullement nous présenter comme des modèles de vertu ces patriarches et d’autres personnages favorisés de Dieu. Ce sont aussi des hommes, ayant les caractères les plus divers, et bien des défauts et des vices ; mais une qualité essentielle ne doit pas manquer à ces hommes selon le cœur de Dieu, c’est l’inébranlable croyance que Dieu s’intéresse particulièrement à eux et aux leurs. La religion naturelle générale n’a proprement besoin d’aucun dogme, car la conviction qu’un grand Être, créateur, ordonnateur et régulateur, se cache, en quelque sorte, derrière la nature, pour se faite comprendre à nous, cette conviction s’impose à chacun, et, lors même que ce fil, qui nous mène à travers la vie, nous échappe quelquefois, nous pourrons le ressaisir toujours et partout. Il en est tout autrement de la religion particulière qui nous annonce que ce grand Être s’intéresse spécialement et par préférence à un homme, une tribu, un peuple, une contrée. Cette religion est basée sur la foi, qui doit être inébranlable, sous peine d’être soudain renversée de fond en comble. Pour une telle religion, chaque doute est mortel. On peut revenir à la conviction, mais non à la foi. De là les épreuves infinies, l’hésitation à remplir les promesses, si souvent répétées, par où la foi de ces ancêtres est mise dans le jour le plus éclatant.

Cette foi accompagne Jacob dans son voyage, et, s’il n’a pas gagné notre affection par la ruse et la tromperie, il l’obtient par son fidèle et inviolable amour pour Rachel, qu’il demande aussitôt lui-même en mariage, comme Éliézer avait demandé Rebecca pour son père. C’est en lui que devait commencer à s’accomplir la promesse d’un peuple innombrable ; il devait se voir entouré de fils nombreux, mais aussi éprouver par eux et leurs mères bien des chagrins. Nous le voyons, patient et résolu, servir sept ans pour sa bien-aimée. Son beau-père, aussi rusé que lui, disposé comme lui à juger légitime tout moyen d’arriver à son but, le trompe, lui rend ce qu’il a fait à son frère : Jacob trouve dans ses bras une épouse qu’il n’aime pas. Il est vrai que, pour l’apaiser, Laban lui donne aussi, peu de temps après, celle qu’il aime, mais sous condition qu’il le servira sept ans encore. Alors les chagrins naissent des chagrins. L’épouse qui n’est pas aimée est féconde, l’épouse aimée est stérile. Comme Sara, elle veut être mère par une servante, qui ne lui procure pas non plus cet avantage, et amène, à son tour, une servante à son époux. Alors le bon patriarche est le plus affligé des hommes. Quatre femmes, des enfants de trois, et aucun de la bien-aimée ! Enfin elle devient aussi enceinte et accouche de Joseph, fruit tardif du plus violent amour. Jacob a terminé ses quatorze ans de service, mais Laban ne veut pas perdre en lui son premier et plus fidèle serviteur. Ils font un nouvel accord et se partagent les troupeaux. Laban garde les brebis blanches, comme étant les plus nombreuses ; Jacob se contente des tachetées, qui sont comme le rebut. Mais, cette fois encore, il sait garder son avantage, et, comme il a gagné le droit d’aînesse avec un mauvais potage, et la bénédiction paternelle par un déguisement, il sait maintenant s’approprier par artifice ut sympathie la meilleure et la plus grande part des troupeaux. Et, par ce côté, il devient aussi le véritable et digne père du peuple d’Israël et