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état de se perfectionner elle-même avec un peu de travail. Son prix était modique ; il ne regardait point au nombre des élèves réunis pour une leçon. Mon père résolut sur-le-champ de faire la tentative, et se iit avec nous l’écolier de ce maître expéditif. Les leçons furent exactement suivies, les répétitions ne manquèrent pas ; on négligea pendant les quatre semaines quelques autres exercices : le maître et les élèves se séparèrent mutuellement satisfaits. Comme il prolongea son séjour dans la ville et qu’il trouva beaucoup d’écoliers, il venait de temps en temps nous examiner et nous aider, n’ayant pas oublié que nous avions été des premiers à lui donner notre confiance, et fier de pouvoir nous citer comme des modèles.

Mon père s’était imposé de la sorte une tâche nouvelle : il voulut que l’anglais gardât toujours sa place parmi nos exercices de langues. Or, j’avoue que j’étais de plus en plus rebuté de prendre le sujet de mes travaux tantôt dans telle ou telle grammaire ou collection d’exemples, tantôt dans tel ou tel auteur, et d’éparpiller ainsi, avec mes heures, l’intérêt que je prenais aux choses. Il me vint donc à l’esprit de tout faire à la fois, et j’imaginai un roman, dans lequel six ou sept frères et sœurs, éloignés les uns des autres et dispersés dans le monde, se communiquent mutuellement leurs affaires et leurs impressions. Le frère aîné rend compte en bon allemand de ce qu’il voit et de ce qui lui arrive dans son voyage. La sœur, dans un style de femme, avec force points et en courtes phrases, à peu près comme Sirgwart[1] fut écrit depuis, rapporte à son tour, soit à ce frère, soit à d’autres, les événements domestiques ou les affaires de cœur qu’elle peut avoir à conter. Un frère étudie la théologie, et il écrit en latin très-solennel, auquel il ajoute quelquefois un post-scriptum en grec. Un autre, commis dans une maison de commerce à Hambourg, avait naturellement en partage la correspondance anglaise, tout comme la française échut à un plus jeune qui résidait à Marseille. Il se trouva pour l’italien un musicien qui fait son début dans le monde, et le plus jeune, sorte d’enfant gâté, impertinent, à qui les autres langues ont été soufflées, se rejette sur l’allemand juif, et met au désespoir

  1. Roman sentimental de Jean Martin Miller.