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que nous passions d’une tête à l’autre, en ne choisissant que celles qui nous plaisaient.

Vers ce temps-là, on mit aussi à exécution le projet, dès longtemps débattu, de nous faire apprendre la musique, et la circonstance qui fit prendre enfin cette résolution mérite bien d’être mentionnée. Il était décidé qu’on nous ferait apprendre à jouer du clavecin, mais on n’avait pas encore pu s’accorder sur le choix du maître. J’entre un jour, par hasard, chez un de mes amis qui prenait justement sa leçon de clavecin, et le maître me paraît l’homme le plus aimable du monde. Il a pour chaque doigt de la main gauche et de la main droite un sobriquet, par lequel il le désigne fort plaisamment quand il faut en faire usage. Les touches blanches et noires sont également désignées par des images ; les notes même prennent des noms figurés. Cette société bigarrée travaille pêle-mêle d’une manière tout amusante. Le doigté et la mesure sont devenus d’une facilité et d’une évidence parfaites ; l’écolier entre en bonne humeur et tout va pour le mieux. A peine rentré chez nous, je presse nos parents d’exécuter leur projet, et de nous donner pour maître cet homme incomparable. On fit encore quelques difficultés, on prit des informations ; on n’apprit rien de fâcheux sur le maître, mais aussi rien de fort avantageux. Cependant j’avais rapporté à ma sœur tous les joyeux sobriquets ; notre impatience était extrême, et nous fîmes si bien que l’homme fut agréé.

Nous commençâmes par le solfège, et, comme il n’amenait aucune plaisanterie, nous espérâmes qu’une fois qu’on en viendrait au clavecin, aux exercices des doigts, le badinage commencerait. Mais ni les touches ni le doigté ne donnèrent lieu à aucune comparaison. Les touches blanches et noires restèrent aussi nues que les notes avec leurs traits sur les cinq lignes île la portée. Ma sœur me reprochait amèrement de l’avoir trompée, et elle croyait réellement que j’avais tout inventé. J’étais moi-même abasourdi, et j’apprenais peu de chose, quoique le maître eût une méthode assez bonne ; car j’attendais toujours les plaisanteries, et je faisais patienter ma sœur d’un jour à l’autre. Rien ne venait, et je n’aurais jamais pu m’expliquer cette énigme, si le hasard ne me l’avait aussi résolue. Un de mes