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sonnes de qualité, et il eut de fréquents rapports avec mon père à l’occasion de faillites et de commissions impériales. Ils s’estimaient beaucoup l’un l’autre, et ils tenaient d’habitude pour les créanciers ; mais ils firent la douloureuse expérience que la plupart des personnes déléguées en pareil cas sont d’ordinaire gagnées par les débiteurs. Le conseiller communiquait volontiers ses connaissances : il aimait les mathématiques, et, comme elles n’étaient d’aucun usage dans sa carrière actuelle, il se fit un amusement de m’avancer dans cette étude. Cela me mit en état de tracer plus exactement mes esquisses d’architecture, et de mieux profiter des leçons d’un maître de dessin, qui nous occupait une heure tous les jours. Ce bon vieillard n’était, à vrai dire, qu’un pauvre artiste : il nous faisait tracer des lignes et les assembler, et cela devait produire des yeux, des nez, des lèvres et des oreilles, et même enfin des figures et des têtes entières : mais, de forme naturelle ou de forme idéale, il n’en était pas question. Nous fûmes tourmentés assez longtemps avec ce quiproquo de la figure humaine, et l’on crut à la fin nous avoir beaucoup avancés lorsqu’on nous remit, pour les copier, les têtes d’expression de Lebrun. Mais ces caricatures ne nous furent pas plus utiles. Alors nous passâmes au paysage, au feuille, et à toutes les choses qu’on pratique sans suite et sans méthode dans l’enseignement ordinaire. Enfin nous en vînmes à l’imitation exacte et à la netteté du trait, sans plus nous inquiéter du mérite ou du goût de l’original.

Notre père encouragea nos efforts d’une manière exemplaire. Il n’avait jamais dessiné, mais, quand ses enfants s’exercèrent à cet art, il ne voulut pas demeurer en arrière ; il voulut leur montrer, dans l’âge mûr, comment ils devaient s’y prendre dans leurs jeunes années. Il copia donc, d’après les gravures petit in-octavo, quelques têtes de Piazzetta, avec le crayon anglais, sur le plus fin papier de Hollande. Il n’observait pas seulement la plus grande netteté dans les contours, il imitait aussi avec la dernière exactitude les hachures de l’estampe, d’une main légère, mais trop faible, en sorte que, pour éviter d’être dur, il manquait de fermeté. Mais ses dessins étaient d’une délicatesse et d’une égalité parfaites. Sa persévérance infatigable alla si loin qu’il copia en entier cette collection considérable, tandis