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meilleur ordre ; cet accident, tout imprévu et tout extraordinaire qu’il est, ne causera aucun trouble. Le sol est mauvais : ce sont de petits cailloux et une herbe courte ; il est dangereux d’aller vite ; d’ailleurs, avant que nous arrivions, on sera maître du feu. »

La princesse ne l’écoutait pas ; elle voyait la fumée s’étendre ; elle crut avoir vu briller un éclair, avoir entendu une explosion : alors s’éveillèrent dans son imagination tous les effrayants souvenirs que le bon oncle n’avait que trop profondément gravés dans son âme par ses récits répétés de l’incendie de la foire.

Cette catastrophe avait été sans doute assez effroyable, assez soudaine et menaçante, pour laisser, pendant toute la vie, une appréhension inquiète de voir le retour d’un pareil malheur : au milieu de la nuit, dans la grande place du marché, couverte de boutiques, un incendie subit avait dévoré magasin après magasin, avant que ceux qui dormaient dans l’intérieur ou auprès de ces baraques légères, eussent secoué le sommeil. Le prince lui-même, fatigué de son voyage, et qui venait de s’endormir, s’élance à la fenêtre : il voit tous les objets éclairés d’une lumière sinistre ; à droite et à gauche, flammes sur flammes, soulevées, serpentent contre lui ; déjà les maisons du marché, rougies par le reflet, paraissent brûlantes, menaçant d’un moment à l’autre de s’embraser en effet et d’éclater en flammes. Là-bas, rien n’arrêtait la fureur de l’incendie ; les planches craquaient, les lattes éclataient, les toiles volaient, et leurs noirs lambeaux, découpés en languettes enflammées, tournoyaient dans l’air, comme si les malins esprits, transformés de mille manières en leur élément, avaient voulu se consumer dans leurs danses folâtres, et çà et là surgir encore de l’embrasement. Ensuite, avec des clameurs aiguës, chacun sauvait ce qu’il trouvait sous sa main ; maîtres et serviteurs s’efforçaient de traîner les ballots hors des flammes, d’arracher quelque chose encore à l’étalage brûlant, pour l’enfermer dans les caisses qu’ils devaient finir par laisser en proie aux flammes rapides. Plusieurs ne demandaient qu’un moment d’arrêt au feu qui s’approchait avec fracas ; ils cherchaient quel parti ils pourraient prendre, et soudain ils se voyaient envahis avec tout