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LES BONNES FEMMES.

comme un étranger. « Les chiens modernes, m’écriai-je, n’ont pas, je le vois, aussi bonne mémoire que les chiens antiques. Après tant d’années, Ulysse fut reconnu par le sien, et celui-ci m’aurait si vite oublié ! — Cependant il a gardé d’une singulière façon ta Pénélope, » répliqua-t-elle, en promettant de m’expliquer cette énigme. Cette explication ne se fit pas attendre, car une paisible confiance a fait, de tout temps, le bonheur de notre union.

madame Seyton.

L’histoire est assez longue comme cela. Si tu le veux bien, mon ami, j’irai me promener une heure, car sans doute tu vas faire ta partie d’hombre.

Seyton fit un signe approbatif, et madame prit le bras de l’ami de la maison, en s’acheminant vers la porte.

« Chère amie, prends donc le chien ! » lui cria-t-il.

Toute la société sourit, et il dut sourire lui-même, quand il s’aperçut combien cette parole naïve venait à propos, et chacun y trouva, pour sa gaieté maligne, une petite pâture.

Sinclair.

Vous avez conté l’histoire d’un chien qui affermit heureusement une alliance : je puis vous parler d’un autre, dont l’influence fut destructive. Moi aussi, j’ai aimé, j’ai voyagé, et laissé derrière moi une amie, avec cette différence, qu’elle ignorait encore mon désir de la posséder. Je revins enfin. Les mille choses que j’avais vues étaient toujours vivantes dans mon imagination ; suivant l’usage de ceux qui reviennent de loin, j’aimais à raconter ; j’espérais que mon amie prendrait à mes récits un intérêt particulier. Plus qu’à personne au monde, je désirais lui faire part de mes expériences et de mes plaisirs. Mais je la trouvai très-vivement occupée d’un chien. Était-ce chez elle cet esprit de contradiction, qui anime quelquefois le beau sexe, était-ce un hasard malheureux ? Quoi qu’il en soit, les aimables qualités de l’animal, les agréables ébats que l’on prenait avec lui, son attachement, ses gentillesses, et le reste, étaient l’unique entretien dont elle régalait un homme qui avait passé bien des mois à recueillir un monde entier dans sa mémoire. J’hésitais, je restais muet, je racontais tantôt ceci, tantôt cela, que j’avais toujours destiné à la belle, pendant mon