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quels tendres accords elle sait produire sous vos doigts délicats ! Trois fois heureux le jeune homme qui pourrait prendre sa place ! »

En parlant ainsi, elle s’était approchée ; le Beau lis leva les yeux ; ses mains quittèrent les cordes de la harpe et elle répondit :

« Ne m’afflige pas par des louanges importunes ! Elles ne font que me rendre plus sensible à mon malheur. Vois, il est gisant à mes pieds, le pauvre serin qui accompagnait mes chants avec tant de grâce ; il était accoutumé à percher sur ma harpe, et soigneusement dressé à ne pas me toucher ; aujourd’hui, en m’éveillant d’un sommeil réparateur, comme je chantais un hymne matinal, et que mon petit musicien faisait entendre des accents harmonieux, avec plus de gaieté que jamais, un autour fond sur ma tête ; le pauvre petit oiseau effrayé se réfugie sur mon sein, et, à l’instant même, je sens les dernières convulsions de sa vie expirante. Le brigand, atteint de mon regard, se traine, il est vrai, là-bas, sans force, au bord de l’eau ; mais que me fait son châtiment ? Mon favori est mort, et sa tombe ne fera qu’augmenter les tristes bocages de mon jardin.

— Beau lis, prenez courage ! dit la femme en essuyant une larme, que lui avait arrachée le récit de la malheureuse jeune fille ; prenez courage : mon vieux mari vous fait dire de modérer votre affliction, de considérer le plus grand malheur comme le présage du plus grand bonheur, car le moment est venu. Et véritablement, poursuivit la vieille, tout va dans le monde sens dessus dessous ! Voyez donc ma main, comme elle est devenue noire ! Elle est déjà bien plus petite : il faut me hâter avant qu’elle disparaisse tout à fait. Pourquoi ai-je été complaisante avec les feux follets ! Pourquoi ai-je rencontré le géant et pourquoi plongé ma main dans la rivière ! Ne pourriez-vous me donner un chou, un artichaut et un oignon ? Je les porterai à la rivière et ma main redeviendra blanche comme auparavant, si bien que je pourrai presque la montrer à côté de la vôtre.

— Des choux et des oignons, tu en trouveras peut-être ; pour des artichauts, tu en chercheras inutilement. Les plantes de mon grand jardin ne portent ni fleurs, ni fruits, mais chaque rameau que je cueille et que je plante sur la tombe d’un être aimé