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vrai. Si, vers minuit, la flamme a dévoré le secrétaire de notre tante, le singulier craquement du nôtre dans le même temps est pour nous un événement vrai, qu’il soit d’ailleurs explicable, et s’enchaîne avéc ce qu’il voudra. »

Bien que la nuit fût déjà très-avancée, nul ne sentait l’envie de dormir, et Charles offrit de raconter à son tour une histoire qui n’était pas moins intéressante, quoique plus facile peut-être à expliquer et à comprendre que les précédentes.

« Le maréchal de Bassompierre, dit-il, la raconte dans ses Mémoires. Qu’il me soit permis de le faire parler lui-même1 :

« Il y avoit cinq ou six mois que, toutes les fois que je passois sur le Petit-Pont (car, en ce temps-là, le Pont-Neuf n’étoit point-bâti), une belle femme lingère, à l’enseigne des Deux Anges, me faisoit de grandes révérences, ou m’accompagnoit de la vue, tant qu’elle pouvoit. Et, comme j’eus pris garde à son action, je la regardois aussi et la saluois avec plus de soin. 11 avint que, lorsque j’arrivai de Fontainebleau à Paris, passant sur le Petit-Pont, dès qu’elle m’aperçut venir, elle se mit sur .l’entrée de sa boutique et me dit, comme je passois : « Mon* sieur, je suis votre servante. » Je lui rendis son salut, et, me retournant de temps en temps, je vis qu’elle me suivoit de la vue aussi longtemps qu’elle pouvoit.

« J’avois mené un de mes laquais en poste, pour le renvoyer le soir même avec des lettres pour quelques dames. Je le fis lors descendre et donner son cheval au postillon, et l’envoyai dire à la jeune femme, que, voyant la curiosité qu’elle avoit de me voir et me saluer, si elle désiroit une plus particulière vue, j’offrais de la voir là où elle voudroit.

« Elle dit à ce laquais que c’étoit la meilleure nouvelle que l’on lui eût sçu apporter, et qu’elle iroit où je voudrois, pourvu que ce fût à condition de coucher entre deux draps avec moi.

« J’acceptai le parti, et dis à ce laquais s’il connoissoit quelque- lieu où la mener. Il me dit qu’il connoissoit une m......... chez qui il la mèneroit ; mais que, si je voulois, comme la peste


1. Mémoires de Bassompierre, t. I, p. 189 de l’éd. in-12. Amsterdam, 1723. — Goethe a suivi exactement l’original.que nous reproduisons, en ne lui faisant subir, comme notre auteur, que do légères modifications.