Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/456

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’accorder à personne des droits exclusifs. Elle chercha donc tout doucement à réduire peu à peu les visites du Génois, à le voir plus rarement, et à lui faire entendre que, pour aucun prix, elle ne renoncerait à sa liberté.

Aussitôt qu’il s’en aperçut, il se sentit cruellement blessé ; et ce ne fut pas son unique chagrin. ses affaires d’intérêt commençaient à prendre une très-fâcheuse tournure. 11 avait à se reprocher d’avoir considéré, dès sa première jeunesse, son patrimoine comme une source inépuisable ; d’avoir négligé ses affaires de commerce, afin de paraître, dans ses voyages et dans le grand monde, un personnagg plus riche et plus considérable, que ne le permettaient sa naissance et ses revenus. Les procès sur lesquels il fondait son espérance allaient lentement et coûtaient beaucoup. Ils l’obligèrent d’aller quelquefois à Palerme, et, pendant son dernier voyage, l’habile comédienne prit divers arrangements, pour mettre sa maison sur un autre pied et pour écarter peu à peu le Génois. Il revint, et trouva la belle dans une nouvelle demeure, éloignée de la sienne ; il vit le marquis de S., qui avait alors sur les divertissements et les théâtres publics une grande influence, aller et venir chez l’actrice familièrement. Accablé de chagrin, il tomba gravement malade. Quand la nouvelle en parvint à son amie, elle accourut auprès de lui, le soigna, pourvut à son service, et, venant à savoir que sa caisse n’était pas fort bien garnie, elle lui laissa une somme considérable, qui suffisait pour le tranquilliser quelque temps.

Par la prétention qu’il avait eue de gêner sa liberté, son ami avait déjà perdu beaucoup à ses yeux ; à mesure que son inclination pour lui diminuait, elle l’observait avec plus d’attention ; enfin la découverte qu’elle fit, qu’il avait si mal gouverné ses affaires particulières, ne lui avait pas donné une idée bien favorable de son esprit et de son caractère. Cependant il ne remarquait pas le grand changement qui s’était fait en elle ; au contraire, les soins qu’elle prenait pour sa guérison, la constance avec laquelle elle passait à son chevet la moitié du jour, lui semblaient une marque d’amitié et d’amour, plus que de pitié, et il espérait, après son rétablissement, rentrer dans tous ses droits.