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de les communiquer : mais je puis attendre de la société dans laquelle je vis, que ceux qui ont les mêmes sentiments se rapprochent sans bruit et s’entretiennent agréablement, l’un exprimant ce que l’autre a déjà dans la pensée. Dans vos chambres, à la promenade, où que les hommes qui pensent de même se rencontrent, que l’on épanche son cœur à plaisir ; que l’on s’appuie sur telle ou telle opinion ; que l’on goûte vivement la joie d’une ardente conviction ! Cependant n’oublions pas, mes enfants, dans notre société, combien, avant qu’il fût question de toutes ces choses, nous avons dû sacrifier de. nos idées particulières pour être sociables, et qu’aussi longtemps que le monde subsistera, pour être sociable, il faut se maîtriser du moins au dehors. Ainsi donc, je le demande, non pas au nom de la vertu, mais ’ au nom de la plus simple politesse, faites maintenant pour moi et pour les autres ce que’vous avez observé, je pourrais dire dès votre enfance, envers toute personne que vous avez rencontrée sur votre chemin.

« En vérité, poursuivit la baronne, je ne sais ce qûe nous sommes devenus, où s’est envolé soudain tout savoir-vivre. Comme on se gardait autrefois de toucher, dans le monde, à ce qui pouvait faire sur un autre une impression désagréable ! En présence du"catholique, le protestant évitait de proclamer ridicule telle ou telle cérémonie ; le catholique zélé ne faisait pas sentir au protestant que l’ancienne religion assurait mieux le salut éternel ; sous les yeux d’une mère qui avait perdu son fils, on évitait de témoigner vivement la joie maternelle ; et chacun se sentait troublé, s’il lui était échappé de la sorte une parole irréfléchie. Tous les témoins cherchaient à réparer l’inadvertance. Et maintenant ne faisons-nous pas justement le contraire ? Nous cherchons avec ardeur toute occasion de mettre en avant ce qui blesse les autres et les trouble. Mes enfants, mes amis, revenons à ces anciennes habitudes. Nous avons déjà beaucoup souffert, et bientôt peut-être la fumée pendant le jour et la flamme pendant la nuit nous annonceront la destruction des demeures et des possessions qui nous restent. N’apportons pas violemment ces nouvelles au milieu de nous ; en revenant trop souvent sur ces choses, ne gravons pas plus avant dans nos âmes ce qui réveille chez nous assez de secrètes douleurs.