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Entraîné par l’émotion, je le pressai sur mon cœur ; il retomba dans son fauteuil, sa fille courut à son aide, en s’écriant à son tour :

« C’est lui ! Vous êtes Lénardo ! »

La jeune nièce était accourue ; elles conduisirent dans la chambre voisine le vieillard, qui avait retrouvé soudain l’usage de ses pieds, et qui, se tournant de mon côté, me dit fort distinctement :

« Que je suis heureux ! heureux !… Nous nous reverrons bientôt. »

J’étais immobile et rêveur : la petite Marguerite revint, et me présenta une feuille, en me disant, de la part de Susanne, que c’était l’écrit dont elle m’avait parlé. Je reconnus aussitôt la main de Wilhelm, tout comme je l’avais reconnu lui-même auparavant, à la description qu’on m’avait faite de sa personne. Plusieurs figures étrangères tourbillonnaient autour de moi ; il y avait un singulier mouvement dans le vestibule. 11 est pénible, lorsqu’on s’abandonne à l’enthousiasme d’une reconnaissance imprévue, à la persuasion d’un affectueux souvenir, à la contemplation d’une merveilleuse destinée, à toute la citaieur, toute l’admiration, que cet événement développe dans notre cœur, d’être brusquement ramené à la choquante réalité, aux vaines distractions de la vie ordinaire.

Cette fois la soirée du vendredi ne fut pas aussi riante, aussi gaie que de coutume : le facteur n’était pas revenu de la ville avec le coche ; il faisait seulement savoir par une lettré que les affaires ne lui permettraient pas de revenir avant demain ou après-demain ; il profiterait d’une autre occasion, et il apporterait tout ce qu’on lui avait commandé, tout ce qu’il avait promis. Les voisins, jeunes et vieux, qui s’étaient réunis comme à l’ordinaire, pour l’attendre, faisaient de tristes figures ; Lise surtout, qui était allée à sa rencontre, paraissait de très-mauvaise humeur.

Je m’étais réfugié dans ma chambre, tenant le papier à la main sans le lire, car j’avais éprouvé déjà un secret dépit en apprenant, par le récit de Susanne, que Wilhelm avait pressé les fiançailles. Je me disais :

« Tous les amis sont comme cela ; ils sont tous diplomates,