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son et de la fabrique, et j’appris, j’essayai, je pratiquai, par degrés, toutes les choses auxquelles *>us voyez aujourd’hui que je préside. Le fils de la maison, qui avait quelques années de plus que moi, était bien fait et d’une belle figure ; il gagna mon affection et me donna sa confiance. Il avait à la fois la franchise et la finesse ; la piété, telle qu’on la pratiquait dans la maison, ne trouvait chez lui nul accès, ne le satisfaisait point ; il lisait en secret des livres, qu’il savait se procurer à la ville : c’étaient de ces ouvrages qui donnent à l’esprit plus d’étendue et d’indépendance, et, comme il remarquait chez moi les mêmes besoins, les mêmes dispositions naturelles, il s’efforça peu à peu de me communiquer ce qui l’occupait si sérieusement. Enfin, comme j’entrais dans toutes ses idées, il ne tarda pas plus longtemps à me découvrir son secret tout entier. Et dès lors nous fûmes réellement un couple fort singulier, ne nous entretenant, dans nos promenades solitaires, que des principes qui rendent l’homme indépendant, et dont l’inclination mutuelle ne semblait avoir pour objet que de nous fortifier l’un l’autre dans des sentiments par lesquels les hommes s’éloignent d’ordinaire coznplétement les uns des autres. »

Tandis qu’elle parlait ainsi, je n’avais point les yeux fixés sur elle ; seulement je lui jetais de temps en temps un regard, comme à la dérobée ; mais j’observais pourtant, avec une tendre admiration, que sa physionomie était en parfaite harmonie avec ses paroles. Après un instant de silence, sa figure s’éclaircit de nouveau.

« La question que vous m’avez adressée, poursuivit-elle, m’oblige à vous faire un aveu, et, par là, vous pourrez mieux vous expliquer mon beau langage, qui a pu quelquefois vous paraître peu naturel. Nous étions, par malheur, obligés tous les deux de dissimuler avec les autres, et tout en nous gardant bien de mentir et d’être faux, dans le sens grossier du mot, nous l’étions, dans un sens plus délicat, en ce que nous ne pouvions jamais trouver d’excuses pour éviter de paraître aux réunions, très-fréquentées, des frères et des sœurs. Mais, comme nous étions forcés d’y entendre beaucoup de choses contraires à nos convictions, il me fit bientôt comprendre et reconnaître que tout ne venait pas du cœur, et que c’était le plus souvent