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Vers midi, les prestiges recommencèrent. Les dames avaient abordé seules, et les deux amis croisaient devant le port. Le chanteur voulut accommoder ses mélodies à la courte distance où il se trouvait, et qui lui laissait espérer de produire un heureux effet, non plus seulement avec les accents vagues et bruyants du désir, mais en exprimant la passion avec plus de délicatesse et de grâce. Déjà, plus d’une fois, quelques-uns des chants dont nous sommes redevables à nos amis des Années d’apprentissage avaient voltigé sur ses cordes, sur ses lèvres : mais il s’était contenu par un ménagement délicat, dont il avait besoin lui-même, aimant mieux se jouer avec des images et des sentiments étrangers, pour faire valoir son chant, qui n’en était que plus séduisant et plus doux. En bloquant le port de cette manière, les deux amis auraient oublié de manger et de boire, si les dames n’avaient eu l’attention de leur envoyer des provisions exquises, accompagnées d’un vin choisi, dont ils surent apprécier le mérite.

Toute séparation, tout obstacle, qui traverse nos passions naissantes, les irrite au lieu de les étouffer : cette fois encore, une courte absence avait, on le devine, produit de part et d’autre une égale impatience : ce qu’il y a de certain, c’est qu’on vit bientôt les dames revenir dans leur brillante et gracieuse gondole.

Que l’on ne prenne donc pas le mot de gondole dans sa triste acception vénitienne : il désigne ici une barque jolie, commode, riante, assez grande pour une société deux fois plus nombreuse.

Quelques jours se passèrent dans ces singulières alternatives de rencontres et de séparations, de départs et de retours ; au milieu des jouissances de la plus délicieuse société, l’âme agitée avait toujours présente la vague pensée de l’adieu et du regret. En présence des nouveaux amis, on se rappelait les anciens. S’il fallait se séparer des nouveaux, on devait reconnaître qu’à leur tour, ils s’étaient assuré déjà bien des droits au souvenir. Un esprit calme, éprouvé, comme celui de notre belle veuve, pouvait seul conserver, en de pareils moments, un équilibre parfait.

Le cœur d’Hilarie avait reçu une trop sérieuse atteinte pour admettre une impression nouvelle et sans mélange : mais, quand les charmes d’une magnifique contrée nous environnent