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Après qu’ils eurent traversé le lac plusieurs fois, et porté leur attention sur les points les plus intéressants du rivage et des îles, on conduisit les dames dans la petite ville où elles devaient passer la nuit, et dans laquelle un guide expérimenté, choisi pour ce voyage, sut leur procurer un logement commode. Ici le vœu de Wilhelm fut un maître des cérémonies convenable, mais importun ; car les amis avaient passé dernièrement trois jours dans ce lieu, et visité tout ce qu’il y avait de remarquable aux environs. L’artiste, qu’aucun vœu ne gênait, demanda la permission d’accompagner les dames jusqu’à terre, mais elles la refusèrent, et l’on se sépara à quelque distance du port.

A peine le chanteur eut-il sauté dans son bateau, qui s’éloignait rapi dement du bord, qu’il prit son luth, et entonna doucement ce chant d’une admirable mélancolie, que les gondoliers vénitiens font retentir du rivage à la mer et de la mer au rivage. Assez exercé à cette mélodie, qu’il rendit, cette fois, d’une manière particulièrement expressive et touchante, il renforçait sa voix, à mesure que le bateau gagnait le large, en sorte que, sur la grève, on croyait toujours entendre à la même distance le chanteur qui s’éloignait. Enfin il cessa de faire parler son luth, se fiant aux seules forces de sa voix, et il eut la satisfaction de remarquer que les dames, au lieu de se retirer à l’auberge, se plaisaient à s’arrêter sur le rivage. Il en fut tellement ravi, qu’il ne pouvait finir, même lorsque la nuit et la distance lui dérobèrent la vue de tous les objets. Enfin son ami, qui était plus calme, lui fit observer que la musique s’entendait, il est vrai, de plus loin dans l’obscurité, mais que le bateau avait depuis longtemps dépassé les limites où peut s’étendre la voix humaine.

Comme on se l’était promis, on se retrouva sur le lac le lendemain. Dans une course rapide, on passa en revue ces sites magnifiques, qui se déployaient aux yeux, tantôt à la suite les uns des autres, tantôt sur des plans différents, et qui, se réfléchissant dans l’eau avec symétrie, offrent, au passage, mille jouissances diverses. Les fidèles imitations de l’artiste faisaient d’ailleurs deviner et pressentir, sur le papier, ce qu’on ne découvrait pas dans la promenade du jour. Hilarie admira ces peintures en silence, et parut les sentir avec un goût libre et pur.