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A cette offre inattendue, le major se sentit vraiment confondu. L’élégance et la richesse de ce cadeau avaient si peu de rapports avec les objets qui l’entouraient d’ordinaire, avec les choses qui étaient à son usage, qu’il osait à peine l’accepter ; cependant il se recueillit, et, comme sa mémoire ne lui refusait jamais ce qu’il lui avait confié, il se rappela sur-le-champ un passage de ses classiques : mais, ne pouvant le citer sans pédanterie, il s’avisa gaiement d’en improviser une agréable paraphrase, en un remerciement affectueux et un gracieux compliment. Ainsi se termina cette entrevue, à la satisfaction commune.

Le major se trouvait donc enfin, non sans embarras, mêlé dans une agréable aventure ; il avait promis d’écrire son poëme, de l’envoyer, et, si l’occasion lui était, à quelques égards, un s sujet de géne, il devait cependant considérer comme un bonheur de conserver d’agréables relations avec une femme douée de grands avantages, et qui devait lui appartenir de si près. Il se retira donc avec une satisfaction secrète. Eh ! comment ne seraitil pas sensible a de tels encouragements, le poète dont l’œuvre, studieusement travaillée et demeurée longtemps dans l’oubli, devient à l’improviste l’objet d’une aimable attention !

Dès qu’il fut rentré chez lui, le major écrivit à sa bonne sœur pour l’informer de tout, et il était fort naturel qu’il laissât paraître, dans son langage, une certaine exaltation, que lui-même il ressentait, et que son fils augmentait encore par ses vives exclamations.

Cette lettre produisit sur la baronne une impression trèsmélangée ; en effet, bien qu’elle dût voir avec plaisir une circonstance qui pouvait hâter et favoriser le mariage de son frère avec Uilarie, la belle veuve ne lui plaisait point, sans qu’elle pût se rendre compte de cette impression. A cette occasion, nous ferons l’observation suivante :

11 ne faut jamais confier à une autre femme l’enthousiasme qu’une femme nous inspire. Elles se connaissent trop bien entre elles, pour se croire dignes de cette adoration exclusive. Les hommes leur paraissent comme les chalands dans la boutique, où le vendeur, qui connaît ses marchandises, a l’avantage, et peut saisir l’occasion de les présenter dans le plus beau jour. tandis que l’acheteur survient toujours avec une sorte d’igno-