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Elle les accueillit par une joyeuse chansonnette, et, quand Laërtes lui demanda des nouvelles de sa compagnie, elle répondit :

«  Je les ai bien attrapés, et me suis moquée d’eux comme ils le méritaient. J’avais déjà mis en chemin leur générosité à l’épreuve, et, m’étant aperçue que j’avais affaire à des gourmands avares, je résolus sur-le-champ de les punir. À notre arrivée, ils demandèrent au garçon ce qu’il pouvait nous servir. Celui-ci, avec sa volubilité accoutumée, énuméra tout ce qu’il avait et plus qu’il n’avait. Je voyais leur embarras : ils se regardaient, hésitaient, et ils demandèrent le prix. « À quoi bon ces longues réflexions ? m’écriai-je. La table est l’affaire d’une femme ; laissez-m’en le soin. » Là-dessus, je commande un dîner extravagant, pour lequel il fallait faire venir par des messagers bien des choses du voisinage. Le garçon, que j’avais mis au fait par quelques signes d’intelligence, me seconda parfaitement ; et nous les avons tellement alarmés par le tableau d’un somptueux festin, qu’ils se sont bien vite décidés à faire une promenade dans la forêt, d’où je pense qu’ils ne reviendront pas de sitôt. J’en ai ri tout un quart d’heure à part moi, et j’en rirai, chaque fois que je penserai à ces visages. »

À table, Laërtes retrouva dans sa mémoire des aventures pareilles : ils se mirent en train de raconter des histoires plaisantes, des quiproquos et des fourberies.

Un jeune homme de la ville, qui était de leur connaissance, et qui se promenait dans le bois, un livre à la main, vint s’asseoir près d’eux et vanta ce bel endroit. Il appela leur attention sur le murmure de la source, le balancement des rameaux, les effets de lumière et le chant des oiseaux. Philine dit une chansonnette sur le coucou, qui ne sembla pas charmer le survenant. Il prit bientôt congé.

«  Si je pouvais une fois ne plus entendre célébrer la nature et les scènes de la nature ! s’écria Philine, quand il fut parti. Rien de plus insupportable que de s’entendre détailler le plaisir que l’on goûte ! Quand il fait beau, l’on va se promener, comme on danse, quand la musique résonne. Mais qui va songer un moment à la musique, au beau temps ? C’est le danseur qui nous intéresse, ce n’est pas le violon : il est pour cela trop agréable à deux yeux bleus de s’arrêter sur deux beaux yeux noirs. Que