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la chouette. Vous demandez pourquoi ? Est-ce l’amour ou l’ennui ? Hélas ! c’est l’un et l’autre.

L’amoureux malgré lui.

Je le sais bien et je m’en moque fort : jeunes filles, vous êtes pleines d’inconstance ! Vous aimez, comme au jeu de cartes, David et Alexandre : ensemble ils sont forts, ensemble ils sont bons.

Cependant je suis misérable comme auparavant, avec un visage de misanthrope ; l’esclave de l’amour, un pauvre fou !… Que volontiers je m’affranchirais de ces souffrances ! Mais elles ont pénétré trop avant dans mon cœur, et la moquerie ne chasse point l’amour.

Vraie jouissance

C’est vainement que, pour gouverner un cœur, tu remplis d’or le giron d’une jeune fille : fais-toi donner les plaisirs de l’amour, si tu veux vraiment les sentir. L’or achète les suffrages de la foule, il ne te gagnera jamais un cœur : mais, veux-tu acheter une jeune fille, va, et te donne toi-même en échange.

Si de saints nœuds ne te doivent pas enchaîner, ô jeune homme, sache toi-même te restreindre. On peut vivre dans une liberté véritable et pourtant n’être pas sans lien. Brûle pour une seule femme, et, quand son cœur est plein d’amour, souffre que la tendresse t’enchaîne, si le devoir ne peut t’enchaîner.

Ouvre ton cœur, jeune homme, et te choisis une jeune fille ; qu’elle te choisisse ; que sa personne, que son âme, soit belle, et tu seras heureux comme moi. Moi, qui connais cette science, je me suis choisi une amie, et, pour le bonheur du plus beau mariage, à part la bénédiction du prêtre, il ne nous manque rien.

N’ayant souci que de ma joie, pour moi seul voulant être belle ; voluptueuse à mon côté seulement, et modeste quand le monde la voit ; pour que le temps ne nuise pas à notre ardeur, elle ne cède aucun droit par faiblesse ; et ses faveurs demeurent toujours une grâce, et il me faut toujours être reconnaissant.

Aisément satisfait, je jouis aussitôt qu’elle me sourit avec tendresse ; lorsqu’à table elle se fait des pieds de son amant un appui pour les siens, me présente la pomme qu’elle a mordue,