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propre durée ; ne se connaît lui-même qu’alors qu’elle se montre, se sent plus libre en des liens si chers, et ne veut battre encore que pour la bénir de toute chose ! La faculté d’aimer, le besoin d’un tendre retour, avait disparu, s’était évanoui : soudain s’est retrouvée l’ardeur de l’espérance, pour les joyeux projets, les résolutions, l’action rapide. Si jamais l’amour inspira un amant, cela me fut donné avec une grâce infinie…

Et ce fut par elle !… Une inquiétude secrète, importun fardeau, pesait sur mon corps et sur mon âme ; mon regard ne voyait de tous côtés que d’horribles images dans les abîmes d’un cœur vide, angoissé : maintenant l’espérance me luit d’un seuil bien connu ; elle-même apparaît dans un doux rayon de soleil. A la paix de Dieu, qui, selon sa parole, vous rend plus heureux ici-bas que la raison, j’oserai comparer la joyeuse paix de l’amour en présence de l’être chéri. Là, le cœur se repose, et rien ne peut troubler le sentiment profond, le sentiment de lui appartenir.

Dans le plus pur de notre âme flotte un désir de s’abandonner, par une libre reconnaissance, à un être plus élevé, plus pur, inconnu, en s’expliquant à soi-même l’éternel inconnu : cela s’appelle être pieux… Ce ravissement sublime, je sens qu’il est mon partage, quand je suis devant elle. Devant son regard, comme sous l’influence du soleil ; à son haleine, comme aux souffles du printemps, se fondent les glaces de l’égoïsme, si longtemps enchaînées dans les profondes cavernes de l’hiver. Ni l’intérêt ni le caprice ne durent ; à son approche, ils s’enfuient frémissants.

C’est comme si elle disait : « Heure par heure, la vie nous est dispensée doucement ; la veille nous a laissé peu d’enseigne ments ; le lendemain, il nous est refusé de le connaître, et, s’il m’arrivait de m’effrayer à l’approche du soir, le soleil déclinait et voyait paraître pour moi de nouveaux plaisirs. « Fais donc comme moi, et, avec une joyeuse sagesse, regarde en face le moment. Point de lenteurs. Hâte-toi d’aller au-devant de lui, avec ardeur comme avec bienveillance : mais, où tu seras, sois tout, toujours plein de candeur ; ainsi tu seras accompli, tu seras invincible. »