Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.


LE BOUFFON.

C’est bien, je fais grand cas du génie et de l’art :
Usez-en, mais laissez quelque chose au hasard ;
C’est l’amour, c’est la vie… On se voit, on s’enchaîne,
Qui sait comment ? La pente est douce et vous entraîne ;
Puis, sitôt qu’au bonheur on s’est cru destiné,
Le chagrin vient : voilà le roman terminé !…
Tenez, c’est justement ce qu’il vous faudra peindre :
Dans l’existence, ami, lancez-vous sans rien craindre ;
Tout le monde y prend part, et fait, sans le savoir,
Des choses que vous seul pourrez comprendre et voir !
Mettez un peu de vrai parmi beaucoup d’images,
D’un seul rayon de jour colorez vos nuages ;
Alors, vous êtes sûr d’avoir tout surmonté ;
Alors, votre auditoire est ému, transporté !…
Il leur faut une glace et non une peinture.
Qu’ils viennent tous les soirs y mirer leur figure !
N’oubliez pas l’amour, c’est par là seulement
Qu’on soutient la recette et l’applaudissement.
Allumez un foyer durable, où la jeunesse
Vienne puiser des feux et les nourrir sans cesse :
À l’homme fait ceci ne pourrait convenir,
Mais comptez sur celui qui veut le devenir.

LE POËTE.

Eh bien, rends-moi ces temps de mon adolescence
Où je n’étais moi-même encore qu’en espérance ;
Cet âge si fécond en chants mélodieux,
Tant qu’un monde pervers n’effraya point mes yeux ;
Tant que, loin des honneurs, mon cœur ne fut avide
Que des fleurs, doux trésors d’une vallée humide !
Dans mon songe doré, je m’en allais chantant :
Je ne possédais rien, j’étais heureux pourtant !
Rends-moi donc ces désirs qui fatiguaient ma vie,
Ces chagrins déchirants, mais qu’à présent j’envie,
Ma jeunesse !… En un mot, sache en moi ranimer
La force de haïr et le pouvoir d’aimer !