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Et le jeune homme pénètre avec peine dans la salle à travers les flots du peuple qui l’obstruaient, s’avance d’un air modeste vers le grand maître, et prend ainsi la parole : « J’ai rempli mon devoir de chevalier ; le dragon qui dévastait le pays gît abattu par ma main ; les chemins n’offrent plus de dangers aux voyageurs ; le berger peut sans crainte faire paître ses troupeaux ; le pèlerin peut aller paisiblement dans les rochers visiter la sainte chapelle. »

Le grand maître lui lance un regard sévère. « Tu as agi comme un héros, lui dit-il ; la bravoure honore les chevaliers, et tu en as fait preuve… Dis-moi, cependant, quel est le premier devoir de celui qui combat pour le Christ et qui se pare d’une croix ? » Tous les assistants pâlissent ; mais le jeune homme s’incline en rougissant, et répond avec une noble contenance : « L’obéissance est son premier devoir, celui qui le rend digne d’une telle distinction. — Et ce devoir, mon fils, répond le grand maître, tu l’as violé, quand ta coupable audace attaqua le dragon, au mépris de mes ordres. — Seigneur, jugez-moi seulement d’après l’esprit de la loi, car j’ai cru l’accomplir ; je n’ai pas entrepris sans réfléchir une telle expédition, et j’ai plutôt employé la ruse que la force pour vaincre le dragon.

« Cinq chevaliers, l’honneur de notre ordre et de la religion, avaient déjà péri victimes de leur courage, lorsque vous nous défendîtes de tenter le même combat. Cependant, ce désir me rongeait le cœur et me remplissait de mélancolie. La nuit, des songes m’en retraçaient l’image, et, quand le jour venait éclairer de nouvelles dévastations, une ardeur sauvage s’emparait de moi, au point que je résolus enfin d’y hasarder ma vie.

« Et je me disais à moi-même : D’où naît la gloire, noble parure des hommes ? Qu’ont-ils fait, ces héros chantés des poëtes, et que l’antiquité élevait au rang des dieux ? Ils ont purgé la terre de monstres, combattu des lions, lutté avec des minotaures, pour délivrer de faibles victimes, et jamais ils n’ont plaint leur sang.

« Les chevaliers ne peuvent-ils donc combattre que des Sarrasins, ou détrôner que des faux dieux ? N’ont-ils