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Ne prenons pas les Français pour modèles : chez eux l’art n’est point animé par la vie : la raison, amante du vrai, rejette leurs manières pompeuses, leur dignité affectée… Seulement ils nous auront guidé vers le mieux ; ils seront venus, comme un esprit qu’on aurait évoqué, purifier la scène si long-temps profanée, pour en faire le digne séjour de l’antique Melpomène.




LE PARTAGE DE LA TERRE


« Prenez le monde, dit un jour Jupiter aux hommes du haut de son trône ; qu’il soit à vous éternellement comme fief ou comme héritage ; mais faites-en le partage en frères. »

À ces mots, jeunes et vieux, tout s’apprête et se met en mouvement : le laboureur s’empare des produits de la terre ; le gentilhomme, du droit de chasser dans les bois.

Le marchand prend tout ce que ses magasins peuvent contenir ; l’abbé se choisit les vins les plus exquis ; le roi barricade les ponts et les routes et dit : « Le droit de péage est à moi. »

Le partage était fait depuis longtemps quand le poëte se présenta ; hélas ! il n’y avait plus rien à y voir, et tout avait son maître.

« Malheur à moi ! Le plus cher de tes enfants doit-il être oublié ?… » disait-il à Jupiter en se prosternant devant son trône.

« Si tu t’es trop longtemps arrêté au pays des chimères, répondit le dieu, qu’as-tu à me reprocher ?… Où donc étais-tu pendant le partage du monde ? — J’étais près de toi, dit le poëte.

« Mon œil contemplait ton visage, mon oreille écoutait ta céleste harmonie ; pardonne à mon esprit, qui, ébloui de ton éclat, s’est un instant détaché de la terre et m’en a fait perdre ma part.