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Ce serait une tentative vaine et méprisable que de vouloir arrêter la roue du temps qu’entraînent les heures rapides ; le présent est à nous, le passé n’est plus.

Notre théâtre s’est élargi ; tout un monde s’agite à présent dans son enceinte : plus de conversations pompeuses et stériles ; une fidèle image de la nature, voilà ce qui a droit d’y plaire. L’exagération des mœurs dramatiques en a été bannie, le héros pense et agit comme un homme qu’il est ; la passion élève librement la voix, et le beau ne prend sa source que dans le vrai.

Cependant le chariot de Thespis est légèrement construit : il est comme la barque de l’Achéron qui ne pouvait porter que des ombres et de vaines images ; en vain la vie réelle se presse d’y monter, son poids ruinerait cette légère embarcation, qui n’est propre qu’à des esprits aériens ; jamais l’apparence n’atteindra entièrement la réalité : où la nature se montre il faut que l’art s’éloigne.

Ainsi, sur les planches de la scène, un monde idéal se déploiera toujours ; il n’y aura rien de réel que les larmes, et l’émotion n’y prendra point sa source dans l’erreur des sens. La vraie Melpomène est sincère ; elle ne nous promet rien qu’une fable, mais elle sait y attacher une vérité profonde ; la fausse nous promet la vérité, mais elle manque à sa parole.

L’art menaçait de disparaître du théâtre… L’imagination voulait seule y établir son empire, et bouleverser la scène comme le monde ; le sublime et le vulgaire étaient confondus… L’art n’avait plus d’asile que chez les Français : mais ils n’en atteindront jamais la perfection ; renfermés dans d’immuables limites, ils s’y maintiendront sans oser les franchir.

La scène est pour eux une enceinte consacrée : de ce magnifique séjour sont bannis les sons rudes et naïfs de la nature ; le langage s’y est élevé jusqu’au chant ; c’est un empire d’harmonie et de beauté : tout s’y réunit dans une noble symétrie pour former un temple majestueux, dans lequel on ne peut se permettre de mouvements qui ne soient réglés par les lois de la danse.