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prévoyant, à mesure, les choses qui vont se passer. Cet acte étrange se joue-t-il entre les deux âmes de Faust et d’Hélène, ou entre le docteur vivant et la belle Grecque ?… Quand, dans les Dialogues de Lucien, le philosophe Ménippe prie Mercure de lui faire voir les héros de l’ancienne Grèce, il se récrie tout à coup de surprise en voyant passer Hélène : « Quoi ! dit-il, c’est ce crâne dépouillé qui portait de si beaux cheveux d’or ? c’est cette bouche hideuse qui donnait de si doux baisers ?… » Ménippe n’a rencontré qu’un affreux squelette, dernier débris matériel du type le plus pur de la beauté. Mais le philosophe moderne, plus heureux que son devancier, va trouver Hélène jeune et fraîche comme en ses plus beaux jours. C’est Méphistophélès qui, sous les traits de Phorkyas, guidera vers lui cette épouse légère de Ménélas, infidèle toujours, dans le temps et dans l’éternité.

Le cercle d’un siècle vient donc de recommencer, l’action se fixe et se précise ; mais, à partir du débarquement d’Hélène, elle va franchir les temps avec la rapidité du rêve. Il semble, pour nous servir d’une comparaison triviale, mais qui exprime parfaitement cette bizarre évolution, que l’horloge éternelle, retardée par un doigt invisible, et fixée de nouveau à un certain jour passé depuis longtemps, va se détraquer, comme un mouvement dont la chaîne est brisée, et marquer ensuite peut-être un siècle pour chaque heure. En effet, à peine avons-nous écouté les douces plaintes des suivantes d’Hélène, ramenées captives dans leur patrie ; les lamentations et les terreurs de la reine, qui rencontre au seuil de sa porte les ombres menaçantes de ses dieux lares offensés ; à peine a-t-elle appris qu’elle est désignée pour servir de victime à un sacrifice sanglant fait en expiation des malheurs de la Grèce et des justes ressentiments de Ménélas, que déjà Phorkyas lui vient annoncer qu’elle peut échapper à ce destin en se jetant, fille d’un âge qui s’éteint, dans les bras d’un âge qui vient de naître.

L’époque grecque, représentée par Ménélas et par son armée, et victorieuse à peine de l’époque assyrienne, dont