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tout le monde, plus que médiocres. Cependant Uhland eut un succès inattendu ; car, dans ce temps-là même, les Schlegel s’appliquèrent à décrier la forme subjective de Schiller ; ils déclarèrent Gœthe le dieu du Parnasse, sauf à le détrôner plus tard, lorsque celui-ci se tourna contre eux. De plus encore, les chants héroïques de Kœrner, disciple de Schiller, commencèrent à perdre beaucoup de leur vogue, dans un moment où l’Allemagne crut voir qu’elle avait versé son sang en pure perte ; Uhland lui-même le démontra dans plusieurs de ses chants et Kœrner fut déclaré un pauvre poëte, pâle imitateur de Schiller. On était ivre de plastique, et, pour se consoler du présent, on recula au moyen âge, et on chanta de nouveau les prouesses des chevaliers et l’amour des princesses, sauf à y ajouter, par-ci par-là, un poëme graveleux qui ressortait encore du domaine des minnesinger du moyen âge. Cette manie cependant toucha bientôt à son terme, et Heine fut, pour ainsi dire, le précurseur lyrique de notre révolution de Juillet, qui, en Allemagne, produisit tant de résultats littéraires.

En effet, ce fut Heine qui, se séparant entièrement de la forme purement objective de Gœthe et d’Uhland sans adopter la manière opposée, de Schiller, sut rendre, par des procédés d’art inconnus jusqu’à lui, ses sentiments personnels pleins de poésie, de mélancolie, et même d’ironie, sous une forme neuve, révolutionnaire même, qui ne cessa pas pour cela d’être très-populaire. Heine fit école ; un essaim considérable de jeunes poètes lyriques tâchèrent de l’imiter ; mais aucun d’eux n’eut ni son génie, ni même sa manière de faire le vers, qui n’est qu’à lui. Ce qu’il y a d’extraordinaire en Heine, c’est qu’il a exclu entièrement la politique de ses chants, bien que la forme de ces mêmes chants dénote un esprit révolutionnaire et absolu. Abstraction faite de l’ironie lyrique de Heine, de cet esprit railleur dont il sait affubler une phrase sérieuse, Heine a composé des chants vraiment classiques, des chants populaires, que tous les jeunes gens en Allemagne savent par cœur.