Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.

les portiques splendides et sous les ombrages frais qu’elles rêvent encore, et se meuvent gravement, en ruminant leur vie passée. C’est ainsi que Faust les rencontre, et, par l’aspiration immense de son âme à demi dégagée de la terre, il parvient à les attirer hors de leur cercle d’existence et à les amener dans le sien. Maintenant, fait-il partager aux spectateurs son intuition merveilleuse, ou parvient-il, comme nous le disions plus haut, à appeler dans le rayon de ces âmes quelques éléments de matière qui les rende perceptibles ? De là résulte, dans tous les cas, l’apparition décrite dans la scène. Tout le monde admire ces deux belles figures, types perdus de l’antique beauté. Les deux ombres, insensibles à ce qui se passe autour d’elles, se parlent et s’aiment là comme dans leur sphère. Paris donne un baiser à Hélène ; mais Faust, émerveillé encore de ce qu’il vient de voir et de faire, mêlant tout à coup les idées du monde qu’il habite et de celui dont il sort, s’est épris subitement de la beauté d’Hélène, qu’on ne pouvait voir sans l’aimer. Fantôme pour tout autre, elle existe en réalité pour cette grande intelligence. Faust est jaloux de Pâris, jaloux de Ménélas, jaloux du passé, qu’on ne peut pas plus anéantir moralement, que physiquement la matière ; il touche Pâris avec la clef magique, et rompt le charme de cette double apparition.

Voilà donc un amour d’intelligence, un amour de rêve et de folie, qui succède dans son cœur à l’amour tout naïf et tout humain de Marguerite. Un philosophe, un savant épris d’une ombre, ce n’est point une idée nouvelle ; mais le succès d’une telle passion s’explique difficilement sans tomber dans l’absurde, dont l’auteur a su toujours se garantir jusqu’ici. D’ailleurs, la légende de son héros le guidait sans cesse dans cette partie de l’ouvrage ; il lui suffisait donc, pour la mettre en scène, de profiter des hypothèses surnaturelles déjà admises par lui. Cette fois, il ne s’agit plus d’attirer des fantômes dans notre monde ou de tirer de l’abîme deux ombres pour amuser l’empereur et sa cour. Ce n’est plus une course furtive à travers l’espace et à travers les siècles. Il faut aller poser le pied