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tu peux bien chanter la chansonnette ; tu es venu jusqu’au jour du carême-prenant, tu seras bientôt à Pâques. Tout ce que tu appelles à ton aide ne sera pas sans occasion ; une saucisse rôtie a deux bouts. Du diable, il ne peut rien venir de bon ; tu as eu un mauvais métier et nature, pourtant la nature ne laisse jamais la nature ; ainsi, un chat ne laisse jamais la souris. L’aigre principalement fait l’amertume. Pendant que la cuiller est neuve, il en faut user à la cuisine ; après, quand elle est vieille, le cuisinier la jette, d’autant que ce n’est plus que fer. N’est-il pas ainsi de toi ? n’es-tu pas un vrai pot neuf et une cuiller neuve pour le diable ? Maintenant, il ne t’est point nécessaire que le marchand t’apprenne à vendre. Et, après, n’as-tu pas suffisamment fait entendre, par ta préface, que Dieu t’a abandonné ? De plus, mon Fauste, n’as-tu pas abusé par une témérité grande, qu’en toutes tes affaires et en ton département tu t’es appelé l’ami du diable, pourtant, persuadé que Dieu est le maître ; mais le diable que comme un abbé ou un moine ? L’orgueil ne fait jamais rien de bien ; tu as voulu être appelé le maître Jean en tous bourgs ou villages ; ainsi pourrait être un homme fou, de vouloir jouer avec les pots au lait ; quiconque veut beaucoup avoir aura fort peu. Fais maintenant cette mienne doctrine entrer dedans ton cœur ; et mon enseignement, lequel tu as possible oublié, c’est que tu n’avais pas bien connu qui est le diable, d’autant qu’il est le singe de Dieu. Aussi est-il un menteur et meurtrier, et la moquerie apporte diffame. Oh ! si vous eussiez eu Dieu devant les yeux ! mais tu t’es laissé aller. Tu ne devais pas ainsi t’agréer d’être avec le diable, comme tu as fais légèrement, et lui as ajouté foi ; car qui croit facilement sera soudain trompé. Le diable a ouvert sa gueule, et tu es entré dedans ; tu t’es donné à lui comme son sujet, et l’as signé de ton propre sang ; ainsi traite-t-il ses sujets, tu as laissé entrer par une oreille ce qui est sorti par l’autre. » Après donc que le diable eut assez chanté à Fauste le pauvre Judas, il disparut incontinent et rendit Fauste tout mélancolique et troublé.