Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/302

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Les lamentations et gémissements du docteur Fauste.

Au docteur Fauste coulaient les heures comme une horloge, toujours en crainte de casser ; car il était tout affligé, il gémissait, et pleurait, et rêvait en soi-même, battant des pieds et des mains comme un désespéré. Il était ennemi de soi-même et de tous les hommes, en sorte qu’il se fit celer, et ne voulut voir personne, non pas même son esprit, ni le souffrir auprès de lui. C’est pourquoi j’ai bien voulu insérer ici une de ses lamentations qui ont été mises par écrit.

« Ah ! Fauste ! tu es bien d’un cœur dévoyé et non naturel, qui, par ta compagnie, es damné au feu éternel, lorsque tu avais pu obtenir la béatitude, lors tu l’as instamment perdue. Ah ! libre volonté, est-ce que tu as réduit mes membres, que dorénavant ils ne peuvent plus voir que leur destruction ? Ah ! miséricorde et vengeance, en quoi j’ai eu occasion de m’engager pour gage et abandon ! Ô indignation et compassion ! pourquoi ai-je été fait homme ? Ô la peine qui m’est apprêtée pour endurée ! Ah ! ah ! malheureux que je suis ! ah ! ah ! que me sert de me lamenter ?

« Ah ! ah ! ah ! misérable homme que je suis ! malheureux et misérable Fauste, tu seras fort bien en la troupe des malheureux, que je suis, pour endurer les douleurs extrêmes de la mort, et même une mort plus pitoyable, que jamais créature malheureuse ait endurée. Ah ! ah ! mes sens dépravés, ma volonté corrompue, mon outrecuidance et libertinage ! Ô ma vie fragile et inconstante ! ô toi qui as fait mes membres et mon corps, et mon âme aussi aveugle comme tu es, ô volupté temporelle, en quelle peine et travail m’as-tu amené, que tu as ainsi aveuglé et obscurci mes yeux ! Ah ! ma triste pensée, et toi, mon âme troublée, où est ta connaissance ? Ô misérable travail ! ô douteuse espérance ! que jamais plus il ne soit mémoire de toi ! Ah ! tourment sur tourment, ennui sur ennui !